Mon dernier ouvrage: La Syrie et la France. Enjeux géopolitiques et diplomatiques. Préface de Béatrice Giblin, Paris, octobre 2013, L’Harmattan, Chemins de la mémoire.

Caractérisée en 2011 par le pacifisme des manifestants et l’aspect séculier des revendications démocratiques, la nature de la crise syrienne a depuis profondément changé. La répression massive et aveugle des forces armées de Bashar al-Assad ainsi que l’internationalisation du dossier ont progressivement transformé le soulèvement populaire en une guerre civile. Comment comprendre la ligne intransigeante de la politique française dès l’été 2011, inédite mais risquée (car fondée sur le pari de la chute inexorable du régime à court terme) et les réponses disproportionnées et violentes de Damas à l’égard de Paris ? Désormais, le sort du régime syrien est devenu un enjeu géopolitique de première importance pour les puissances régionales et internationales. En effet, compte tenu de l’importance stratégique de la Syrie dans l’équation moyen-orientale, la reconfiguration des rapports de force internes laisse présager des contrecoups à portée régionale, si ce n’est au-delà. Dans ce contexte, quel est l’avenir des relations entre la France et la Syrie ?   Cet ouvrage se propose d’apporter quelques clefs permettant de mieux appréhender la complexité et la portée des enjeux en présence. Il est tiré d’une thèse soutenue en avril 2011, soit seulement quelques semaines après le début des manifestations pacifiques en Syrie. Toutefois, les tendances de fond décrites tout au long de ce travail demeurent, d’où l’importance de les analyser et d’encomprendre les effets.

Isabelle Feuerstoss est docteur en géopolitique et spécialiste de la Syrie où elle y a effectué de nombreux longs séjours. Arabisante, elle est chercheuse postdoctorale à l’Institut français de géopolitique (IFG) et au Pôle Méditerranée de l’université Paris VIII. Ses travaux portent sur les enjeux géopolitiques des minorités en Syrie, la politique intérieure et régionale du régime syrien et sur les oppositions syriennes. De plus, dans le cadre de l’élaboration d’un Atlas géopolitique sur les femmes en Méditerranée (IFG), elle étudie actuellement les enjeux de la représentativité politique des femmes dans le cadre du processus transitoire démocratique en Tunisie et en Syrie.

 

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Portée et enjeux des mobilisations féminines en Syrie, quelques éléments de réflexion

Les réflexions qui suivent sont tirées d’un séminaire que j’ai donné à la Sorbonne en décembre 2012. J’ai longtemps hésité avant de les poster en raison justement du caractère inabouti et non exhaustif de ce travail….Toutefois, face à l’absence de travaux qui explorent les questions de genre dans le conflit syrien actuel, je me permets de présenter ces quelques modestes pistes de réflexion en espérant qu’elles soulèveront des interrogations et des retours….Il convient de préciser que le texte n’a pas été retouché depuis décembre 2012. La première partie (historique) est largement inspirée de mon article publié en 2009 dans Hérodote: « Femmes, voile et pouvoir en Syrie ».

On l’a vu, de la Tunisie à l’Egypte en passant par le Yémen, les femmes ont participé à part égale avec les hommes aux manifestations et à ce titre, elles ont subi de plein fouet la répression violente des régimes autoritaires. Toutefois, à l’instar de ce qui se passe en Tunisie, perçue par les Occidentaux comme un véritable laboratoire du processus transitionnel dans les pays arabes, les bouleversements socio-politiques entrainés par la chute des anciens dictateurs semblent avoir créé une réelle menace de retour en arrière pour les femmes en matière de droit. En Europe, cette situation contredit les représentations qui ont dominées les premiers temps des révolutions arabes, à savoir que la question des valeurs universelles des droits de l’homme se trouvaient au cœur des aspirations populaires. Or pour nous, ainsi qu’aux yeux de certains cercles d’élites arabes rompus aux valeurs occidentales, la question de l’égalité homme/femme fait partie intégrale des droits de l’homme. Les processus en cours en Tunisie, en Egypte ou en Libye pour ne citer qu’eux, prouvent que cette articulation ne va pas de soi pour tous.

Le cas de la Syrie m’apparait encore moins évident.

La violence, les milliers de morts (30 000 selon l’ONU mais en réalité, certainement plus) et les destructions d’infrastructures, entrainent progressivement la déstructuration des cellules familiales, à l’instar de ce qui s’est produit en Irak à partir de 2003.

Par conséquent, il est important de s’interroger sur les impacts que la crise actuelle est susceptible de produire sur la place de la femme au sein de la société syrienne. Avec toujours en filigrane cette question : une révolution au sens politique et militaire du terme entraine-t-elle forcément une révolution des schémas de genre et en particulier, la rupture de l’ordre patriarcal prédominant ? La révolution entraine-t-elle nécessairement un processus d’émancipation de la femme ?

Partie 1 : Etat des lieux du statut de la femme à la veille du soulèvement en Syrie

Les mobilisations féminines ont beaucoup évolué depuis le déclenchement des premières manifestations, en mars 2011. Elles doivent être néanmoins appréhendées dans le cadre d’un processus s’étendant sur plus d’un siècle, oscillant sans cesse entre avancées, stagnations, voir même ces dernières années recul de leur statut.

A-    De la fin du XIXe siècle jusqu’au début des années 1980 : phase de processus d’émancipation politique

1/ La place de la femme au sein du projet nationaliste arabe

 La plupart des premiers nationalistes arabes, originaires de Syrie, étaient de parfaits francophones (voir des polyglottes). La langue française représentait un outil d’apprentissage, d’accès aux nouvelles technologies, à la science mais aussi, à de nouveaux modes de pensée. Y compris sous le mandat français (1920-1946), Paris joua un rôle décisif dans la formation intellectuelle de ces élites nationalistes. Les femmes issues de ces grandes familles urbaines n’étaient pas en reste. Évoluant dans un milieu familial sensibilisé aux idées émancipatrices européennes, éduquées et instruites dans des écoles tenues par des sœurs latines, elles eurent accès, grâce à la maitrise de la langue française,  non seulement à la littérature européenne mais aussi aux idées politiques et philosophiques en vogue dans les milieux intellectuels parisiens.

Dans les années 1920, les nationalistes syriens et les mouvements de femmes ont placé la question de l’émancipation des femmes au cœur de l’enjeu de la construction sociale.

Grâce à leurs journaux et aux salons littéraires qu’elles tenaient, les Syriennes ont conquis leurs droits de visibilité dans l’espace public en portant le débat sur les rapports sociaux entre les deux sexes (la fin de l’exclusion des femmes de la sphère publique, l’égalité des sexes) et sur les droits politiques de la femme (droit de vote et droit d’éligibilité.) Le rôle des intellectuelles syriennes, à l’image de Marie ‘Ajami, grande journaliste et romancière, au sein du mouvement nationaliste arabe s’est révélé majeur.

2/ L’idéologie ba’thiste et l’image de la femme émancipée

 La 3e génération de nationalistes arabes apparue dans les années 1930 trancha radicalement par rapport aux précédentes. Les nouveaux mouvements politiques créés à cette époque (dont la Ligue d’action nationale, ancêtre du parti Ba’th) s’engagèrent résolument dans un processus de rupture pour répondre aux bouleversements sociaux et économiques survenus depuis plusieurs décennies : apparition d’une classe moyenne et d’une nouvelle bourgeoisie industrielle, éduquée à l’européenne, etc.

Les pères fondateurs du Ba’th furent imprégnés de valeurs occidentales. Zaki al-Arsouzi, le premier idéologue du parti, alaouite, séjourna à Paris de 1927 à 1930. Séjour qui fut sans conteste déterminant dans son orientation idéologique. Boursier du mandat français, il étudia la philosophie à la Sorbonne. Il fut largement influencé par des intellectuels tels que Georges Dumas, Emile Bréhier, Léon Brunschvicg et surtout le philosophe Bergson. Son attachement à certaines valeurs françaises, telles que la liberté, le sécularisme et l’égalité des chances entre les sexes sont bien connues.

Les deux autres idéologues du Ba’th, Michel Aflaq, grec-orthodoxe et de Salaheddine Bitar étudièrent également à la Sorbonne. Les contacts noués en France auprès de responsables communistes français influencèrent la pensée de M. Aflaq et S. Bitar, notamment en matière de « socialisme arabe », une sorte d’adaptation des modèles politico-sociaux européens aux réalités des sociétés arabes.

Ainsi, dans la Constitution du parti Ba’th adoptée le 17 juin 1947, l’article 12 de la seconde partie consacrée aux principes généraux, stipule : « La femme arabe jouit de l’intégralité des droits civiques, et le parti lutte en vue d’élever son niveau pour l’en rendre capable. » Dès 1970, après le coup d’Etat qui amena Hafez al-Assad au pouvoir, des femmes, majoritairement issues des minorités confessionnelles et des zones rurales, principaux piliers du Ba’th, furent recrutées au sein des forces armées du régime ba’thiste et représentées à tous les niveaux de la scène politique. L’image de la femme « combattante », militaire, émancipée, fut largement exploitée par la propagande ba’thiste. L’entrée triomphale de la société syrienne dans le processus de modernité devait nécessairement passer par l’émancipation de la femme, en l’affranchissant des chaines de la servitude imposées par une société patriarcale archaïque. La promotion de la femme passait par des projets de développement, notamment dans les zones rurales (à titre d’exemple, des campagnes d’éducation et de formation des femmes menées sous l’égide de l’Union des Femmes de Syrie, organisation populaire au service des intérêts du régime).

C’est ainsi en Syrie que furent nommées la première vice-présidente de la République et la première procureure générale du monde arabe. Cet élan égalitariste et séculier a pourtant parfois dégénéré, revêtant des formes extrémistes. Il est ainsi arrivé que des groupes de militants ba’thistes s’en prennent violemment à des femmes voilées, leur arrachant en pleine rue leur voile, provoquant un profond traumatisme au sein des familles sunnites conservatrices. Dans les années 1980, les agissements incontrôlés de certains fils d’officiers ou de hauts responsables alaouites qui kidnappaient et violaient de jeunes filles (toutes confessions confondues) ont également renforcé le repli communautaire des familles des victimes.

B-    Stagnation de l’émancipation économique et sociale de la femme syrienne

 1/Persistance d’une société patriarcale rejetant toute forme de mixité sociale

Bien que la condition de la femme se soit améliorée depuis plusieurs décennies, grâce  à l’accès à l’enseignement supérieur et  au travail, la présence de la femme sur le marché du travail demeure encore faible dans de nombreux domaines (politique, économique, social). Leur taux de fécondité demeure particulièrement élevé (2,60), phénomène qui est principalement dû à leur marginalité sur un marché du travail saturé où le taux de chômage dépasse largement les 20% de la population active.

Cette marginalité renforce la prédominance des structures patriarcales en Syrie qui cloisonnent la femme dans un espace social et culturel limité. La Syrie demeure en effet un pays à majorité musulmane sunnite où certains codes sociaux et religieux persistent, à l’instar du rejet de toute forme de mixité sociale. Les femmes sont considérées comme des êtres faibles et fragiles qu’il faut protéger de la menace extérieure. A l’école, la mixité n’est appliquée qu’en primaire et encore, pas dans les écoles privées. Cette absence de mixité sociale influe indubitablement sur la formation des représentations du sexe opposé. De nombreux acteurs politiques ba’thistes sont eux-mêmes réfractaires à l’idée que leur épouse envisage une carrière politique. C’est bien la visibilité publique qui pose problème, nonobstant les considérations confessionnelles .Or, l’engagement politique implique une existence publique, la multiplication des relations avec des hommes et la construction de réseaux.

Toutefois cela n’empêche pas les femmes de s’illustrer brillamment dans les études supérieures et si on prend un domaine où elles se distinguent remarquablement, c’est bien celui de la magistrature, où elles sont majoritairement voilées. L’accès aux fonctions de magistrat se fait sur concours, ce qui « démocratise » ce domaine. En outre, le poste de magistrat est considéré comme noble (sic, malgré la corruption endémique), à l’abri de toute atteinte à l’honneur et à l’intégrité physique de la femme.

La multiplication des femmes voilées dans le monde professionnel traduit la perte d’influence du mouvement nationaliste laïc et progressiste arabe au détriment d’un mouvement réactionnaire de réislamisation sociale qui, à mesure que ses comportements sociaux s’imposent, s’accompagne d’un certain conformisme.

2/ Reconfiguration sociale : phénomène de réislamisation sociale de la sphère publique  

Depuis le début des années 1980, à l’instar des pays arabes voisins de la Syrie, on a assisté à une dynamique de « réislamisation » de la sphère publique dont le port du voile islamique, jusqu’alors minoritaire, notamment en zone urbaine et dans certaines campagnes, est indéniablement le symbole. Ce phénomène s’est traduit par son caractère massif et la rapidité de son extension : foulard islamique, barbe taillée, fréquentation et multiplication de la construction de mosquées, recours aux formules coraniques dans les discours officiels, multiplication des cours de religion, développement de réseaux féminins conservateurs, etc.

La période de guerre civile de 1979 à 1982 est fondamentale pour comprendre la portée de ce phénomène.

Sur fond de crise économique ayant touché les anciennes élites urbaines (déjà fortement affectées par les mesures de nationalisation dans les années 1960), les petits notables, les commerçants et artisans urbains, qui ne surent pas s’adapter aux nouvelles techniques européennes et se moderniser, une crise sociale éclata.

Elle gagna en 1970 l’ensemble des villes du pays. Unique opposition politique structurée, la confrérie des Frères musulmans fut le fer de lance des troubles qui menacèrent la survie du régime alaouite. La vague d’attentats perpétrés contre des alaouites de 1979 à 1982  contribua à renforcer la « mentalité de forteresse »  de cette communauté longtemps honnie par la majorité sunnite, déclenchant une répression disproportionnée donnant lieu à de terribles massacres de civils, tels que ceux à Hama en février 1982.Depuis lors,  les interprétations politiques de l’islam sont bannies de l’espace public, toute forme d’Islam politique ou de soupçon d’appartenance à la confrérie des Frères musulmans est passible de la peine capitale.

Cet épisode continue néanmoins de nourrir la mémoire collective de pans entiers de la société pour qui le port de signes religieux revêt indubitablement une dimension politique. Il va sans dire que la répression exercée par le régime depuis mars 2011 a très largement réactivé les sentiments de haine et de vengeance liés à cet épisode noir.

Dans les années 1980, tout un réseau d’institutions islamiques (éducatives et caritatives) s’est développé en Syrie, sous l’œil vigilant des autorités syriennes.

Il faut dire que l’accaparement des richesses du pays par la nomenklatura syrienne au détriment de la majorité de la population et la suppression des libertés civiles, a contribué à la disparition progressive d’une classe moyenne comme phénomène d’ascension sociale qui aurait crédibilisé le développement d’une société laïque. L’islam s’est imposé progressivement comme un enjeu de légitimation politique.

L’influence des pays du Golfe par le biais entre autres du financement de la construction de mosquée et les chaines satellitaires s’est traduite par l’émergence de pratiques conservatrices salafistes rejetant les anciens rites soufis et les tendances laïques. Aucun milieu social ni territoire n’échappent à cet effet de mode. La population sunnite étant passée de 62 % de la population en 1953 à 70 % 30 en 2004, en raison de son fort taux de fécondité, la part respective des minoritaires confessionnels s’est réduite de manière significative, ou, à l’instar de la communauté alaouite, se maintient difficilement. Ce qui explique l’augmentation de leurs représentations de menaces. La majorité des femmes chrétiennes, alaouites ou druzes sont littéralement terrorisées par l’émergence et l’ampleur de l’emprise sociale de phénomènes tels que les Qubeissiyat, les femmes prédicatrices. Initialement interdits par le pouvoir, ces réseaux de prédication islamique clandestins ont connu une telle ampleur auprès des milieux sunnites citadins, et notamment de l’élite éduquée et aisée, que l’Etat a fini par les autoriser en 2005. Elles sont présentes dans les mosquées et elles gèrent de très nombreuses écoles privées réservées aux jeunes filles. Ce phénomène de regain de religiosité renforce le repli sur les valeurs conservatrices de la famille et du groupe communautaire. Cela  ne va pas sans poser de sérieuses remises en question du socle identitaire national dans un État qui s’est toujours revendiqué haut et fort séculier

C- La place de la femme dans la stratégie de légitimation du régime de Damas

1/Communautarisation des instances du pouvoir

 Jusqu’à l’éclatement de la crise syrienne en 2011, la sphère politique syrienne constituait un terrain d’observation remarquable car il s’inscrivait à contre-courant des dynamiques sociales. Les femmes politiques et intellectuelles rencontraient de plus en plus de difficultés à imposer leur combat d’émancipation. Elles sont passées d’une situation de domination de l’espace public dans les années 1970 à un nouveau rapport de force social séparant de plus belle les deux sexes et sacralisant le rôle maternel de la femme. La mixité étant déconsidérée, seules les femmes les plus affranchies des règles sociales parviennent à s’imposer. Pour autant, le régime n’a rien fait sur le plan légal pour améliorer le statut de la femme syrienne. Elle ne peut pas transmettre sa nationalité aux enfants, elle n’hérite que de la moitié de la part des garçons, etc. Cela nous amène à réfléchir sur la place de la femme dans la stratégie de légitimation du régime syrien ? Quelques petits rappels là encore s’imposent.

 

En Syrie, au nom de l’unité de la nation arabe syrienne, les particularismes identitaires ont été bannis des discours et des chiffres lors de l’arrivée du Ba’th au pouvoir. Le dernier recensement faisant référence à la répartition confessionnelle et à sa géographie date de 1960 ; aussi les chiffres brandis par les acteurs du conflit actuel sont-ils à prendre avec une grande prudence. Pour autant, les chiffres constituent un véritable enjeu de pouvoir : depuis 1970, le clientélisme communautaire a été érigé en pratique incontournable de l’exercice du pouvoir. Le régime syrien mis en place par Hafez el-Assad repose en effet sur une dualité de systèmes. Les institutions « d’apparence » démocratique (gouvernement, Conseil du peuple, magistrature et syndicats) sont doublées par un système parallèle reposant sur des principes archaïques d’« esprit de corps », réunissant autour de la figure du président des officiers alaouites. À tous les échelons du pouvoir « officiel », la répartition des postes, répond à des exigences de représentativité (dont celle du genre) et, à un degré moindre, de proportionnalité des différentes appartenances identitaires (confessionnelles, ethniques, régionales et sociale). Qu’en est-il au juste de la représentativité féminine ?

Lors du  Xème congrès du parti Baath en juin 2005, il fut décidé qu’à l’ensemble des échelons de la hiérarchie du parti, les femmes devraient désormais représenter au minimum 25% des composantes. Ce message fort ne fut pas suivi intégralement dans les faits. En revanche, ce qui fut déjà acquis mais parfois, de manière fort laborieuse, c’est la représentativité féminine au sein de l’ensemble des institutions étatiques et ba’thistes (gouvernement, parlement, comité central et régional du Ba’th, etc.) Le régime s’est toujours efforcé de se rallier des personnalités féminines issues de l’ensemble des différentes classes sociales et groupes communautaires. Lors des élections internes au parti, bien que souvent, aucune femme ne remporte le nombre de suffrages nécessaires, les responsables procèdent à un « remaniement » des voix par lequel la femme recueillant un maximum de suffrages parmi les candidates, se voit élue, au détriment des hommes. Cette pratique peu démocratique est justifiée par le fait que les candidates souffrent d’un déficit chronique de visibilité et donc de popularité, ce qui ne leur permet pas d’être élues démocratiquement. C’est d’autant plus vrai pour les femmes sunnites.

2/Conséquences sur la représentativité politique de la femme 

Jusqu’en 2011, la surreprésentation des minorités confessionnelles demeure néanmoins une réalité. Le régime, en déficit constant de représentativité féminine sunnite, offre donc des postes honorifiques aux Sunnites afin de les récompenser de leur loyauté et d’instrumentaliser les aspects communautaires, régionaux et socioprofessionnels qu’elles sont susceptibles d’incarner. Elles sont doublement otages du régime minoritaire,  en raison de leur sexe et de leur appartenance confessionnelle.

Au niveau de la scène internationale, le régime est conscient du profit qu’il peut tirer d’une représentation féminine élargie et acquise à un système de valeurs occidentales.

Ces femmes constituent un instrument politique susceptible de conférer une image fréquentable de la Syrie. Ce sont des faire-valoir, les atouts de charme, les vitrines du pouvoir.

Elles sont souvent nées ou ont étudié en Europe ou aux Etats-Unis. Elles sont toutes rompues aux us et coutumes sociales de ces pays, certaines continuent d’ailleurs de s’y rendre régulièrement. Leur proximité avec des élites politiques, économiques et intellectuelles occidentales constituent des atouts fondamentaux aux yeux du régime.

Quelle que soient leur classe sociale, leur appartenance communautaire ou leur importance politique, les femmes exposées dans les médias étrangers adoptent toutes un style vestimentaire occidental et aucune ne porte le voile. A ce titre, l’exemple de la présidente de l’Union Générale des Femmes de Syrie, Souad Bakour, est tout à fait inédit. Sunnite voilée, elle a retiré son hijab peu de temps après sa nomination le 8 avril 2009. Chose absolument impensable en dehors de la sphère politique.

Certaines d’entre elles sont devenues ces dernières années de véritables interlocutrices privilégiées des journalistes occidentaux, à l’instar d’Asma al-Assad. Belle, élégante, parfaitement anglophone, à la tête de l’unique et puissant réseau syrien d’ « ONG développementalistes » visant à pallier les carences de l’Etat, elle s’est imposée comme une interface entre les institutions internationales, le régime et les acteurs des associations privées syriennes. Sur le plan interne, dans la stratégie de légitimation du pouvoir, son appartenance à la communauté sunnite (elle est originaire de Homs) est fondamentale pour faire oublier les origines sectaires et l’usurpation du pouvoir par un clan alaouite.

Au niveau de la représentation féminine purement interne, certaines femmes politiques sont exclusivement le fruit de l’ascension pyramidale au sein du parti Ba’th, à l’image de Chahinaz Fakouch, sunnite, non voilée, originaire de Deir Ez zor, seule femme nommée au sein du commandement régional du parti Ba’th. Elle était jusqu’alors le symbole du soutien traditionnel des paysans au parti socialiste ba’thiste.

C’est cependant à l’Assemblée du peuple que les femmes syriennes dans leur diversité sont le mieux représentées. Dans une société qui valorise les aspects extérieurs et honorifiques des fonctions, l’assemblée, dénuée de tout pouvoir politique réel, constitue un espace symbolique de faire-valoir public. En général, on compte une moyenne de deux à trois femmes députées par gouvernorat. Contrairement aux autres instances institutionnelles, la composition féminine de l’hémicycle parlementaire est fidèle à l’hétérogénéité des comportements moraux et vestimentaires de la société syrienne. Néanmoins, ceux et celles qui se démarquent par leur nomination à des postes prestigieux (doyens, ambassadeurs, etc.) présentent là encore un profil vestimentaire affranchi des codes moraux de la société et un discours séculariste.

C’est donc dans ce contexte particulièrement complexe que le soulèvement syrien débuta en mars 2011.

Partie 2 : Identification et portée de la mobilisation féminine dans le soulèvement syrien (mars 2011-… ?) 

La participation des femmes à l’effort de guerre prend des formes différentes selon les appartenances politiques (pro ou anti régime) et sociales (élites, classes moyennes, pauvres). Les modalités et la visibilité des actions diffèrent également fortement en fonction de la localisation géographique des actrices (sont-elles sur le terrain ou à l’étranger ?) et l’évolution temporelle de la nature du soulèvement (manifestations pacifistes, militarisation de l’opposition).

A-    Caractéristiques générales

 La distinction pro-anti régime s’avère peu opérante tant les lignes de clivages dépassent largement cette dimension. Certes, aujourd’hui, il est indéniable que le conflit revêt une dimension sectaire, avec entre autres, la réactivation des peurs minoritaires face à la militarisation et la radicalisation religieuse des opposants armés. Cependant, en mars 2011, en dépit des revendications à connotation largement politique (renvoyant, entre autres, à la corruption endémique et à l’absence de libertés civiles), ce sont bien les disparités économiques qui se sont retrouvées au cœur du mouvement  de contestation pacifique et dénué de caractère communautaire. Pour s’en assurer, il suffit d’observer la géographie des manifestations et l’appartenance sociale des manifestants.

Manifestement, on se retrouve dans un contexte proche de celui de 1963, un remake de la « revanche des campagnes contre la ville ». A ce titre, Alep constitue un cas d’école. Les insurgés sont très majoritairement issus de la périphérie urbaine ou des campagnes environnantes. Cela explique qu’ils aient mis tant de temps avant d’être véritablement opérationnel, faute de maitriser la géographie urbaine d’Alep. La plupart des citadins qui en avaient les moyens sont partis se réfugier en Turquie. Les moins chanceux sont partis se réfugier dans d’autres villes, ou des quartiers moins touchés par les violences. On retrouve le même cas de figure à Damas. Jusqu’à aujourd’hui, de nombreux commerçants sunnites refusent de soutenir les rebelles armés, dans leur grande majorité originaires des autres gouvernorats de Syrie ou des campagnes environnantes.

Toutefois, il convient de préciser que ces lignes de clivages se superposent bien souvent avec celles des clivages communautaires. Bien qu’on compte également de nombreux Alaouites pauvres, les Sunnites (plus de 75% de la population) constituent l’immense majorité des classes prolétaires.

C’est pourquoi, dès mars 2011, le régime s’est appuyé sur la géographie des clivages communautaires pour circonscrire la contestation à l’échelle urbaine. La répartition spatiale des espaces mixtes ou des quartiers à majorité minoritaire, généralement pro régime ou neutres, ont empêché jusqu’à l’automne 2012 toute continuité territoriale entre les secteurs homogènes sunnites.

Bien que peu visibles sur la scène publique et largement cantonnée aux coulisses du mouvement, la mobilisation des femmes suit en grande partie ces lignes de clivage avec toutefois de nombreuses passerelles, les appartenances identitaires étant mobiles. Les femmes ne s’identifient pas exclusivement à leur appartenance de genre. De même, on note de grandes variations dans les formes et les modalités de l’engagement.  Elles se mobilisent en fonction de leurs possibilités, leurs compétences et leurs réseaux.

Il serait erroné de croire que seules les couches populaires se sentent concernées par le despotisme et la corruption du pouvoir syrien. Bien avant le début du soulèvement, des femmes de l’intelligentsia syrienne mais aussi des avocates œuvraient à leurs risques et périls dans le domaine de la défense des droits de l’homme. C’est toutefois à partir de mars 2011 que ce phénomène prit l’ampleur qu’on lui connait.

B-    Les enjeux de la présence des femmes dans les manifestations populaires

1/Répression et conservatisme social …

 Lors de la première phase du conflit (manifestations populaires), on comptait très peu de femme voir aucune dans les quartiers pauvres sunnites ou très conservateurs des grandes agglomérations. En province, en fonction du degré de conservatisme des villes et des quartiers mais aussi en fonction des revendications, qui je le rappelle, n’étaient pas unifiées au niveau national, on a pu en voir un peu plus mais jamais de manière régulière. Quant aux manifestations volantes, ponctuelles qui ont lieu tous les jours dans l’ensemble des villes syriennes, les femmes n’y ont pris part que très rarement.

Les chiffres de la première phase du conflit parlent d’eux-mêmes. Les femmes et enfants furent nettement moins touchés que les hommes en termes de morts et d’arrestations. En janvier 2012, on comptabilisait 185 femmes tuées, 88 petites filles et de nombreuses disparues.

Il va sans dire que le degré de violence de la répression envers les manifestations pacifistes est sans précédent dans la région. Le regard maternaliste et familialiste de la société sur la place de la femme a également joué dans cette phase du conflit. Colonnes vertébrales de la cellule familiale, la femme syrienne est restée en retrait des mouvements des rues afin d’assurer la logistique et gérer les conséquences de l’activisme public de leurs hommes (repas, soins aux blessés, les enfants, couture, etc.) La répartition sexuée des tâches est à l’image de la société actuelle. La mixité de la sphère publique ne joue pas en faveur de l’engagement politique des femmes, notamment celles issues des milieux conservateurs. Symbole de l’honneur familial, il est souvent mal vu que les femmes et les hommes se retrouvent dans un espace public mixte. Il ne faut pas oublier qu’à l’origine, les manifestations dans les rues partaient des mosquées où le cloisonnement entre les sexes est de mise.

La peur de l’atteinte à la pudeur et du viol demeure très présente dans les esprits. Par conséquent, la majeure partie des femmes syriennes préfèrent des formes de mobilisations moins exposées publiquement et moins en contact avec les hommes. Dès lors, les mobilisations anonymes prennent de multiples formes : distribution de journaux ou de tracts clandestins, organisation de manifestations, collectes des données relatives à la répression (le nombre d’arrestations, d’assassinats, etc.) Ce sont les petites mains de l’ombre. Elles assurent également l’organisation et la logistique de nombreuses manifestations pacifistes. D’autres femmes participent à l’œuvre collective uniquement sans sortir de leur foyer. Certaines tiennent des blogs, rédigent des rapports pour les centres de médias. D’autres cousent des drapeaux, des teeshirts, des écharpes aux couleurs de la révolution, d’autres rédigent les banderoles des manifestations, écrivent des slogans.

Au niveau régional, la mobilisation des syriennes anonymes est également très forte, notamment au sein de petites associations, les Tanssiqia : elles réunissent de l’argent pour les familles dans le besoin, des téléphones satellites, des vêtements, des médicaments, elles cousent aussi des drapeaux, des écharpes, des bonnets, des robes aux couleurs de l’opposition, elles écrivent des poèmes, les postent sur les réseaux sociaux, elles participent aux manifestations au sein de leur groupe, etc.

Les femmes issues des milieux conservateurs et pauvres sunnites sont en effet plus à l’aise au sein de comités non mixtes. Ainsi, dès 2011, on observa l’apparition de manifestations exclusivement féminines dans la rue ou dans la sphère privée, dans les salons des foyers. Ce sont ces mêmes femmes qui relaient leurs propres manifestations éclair sur Youtube. Autrement, elles passeraient totalement inaperçues.

2/ …versus soutien au régime et sécurité

 A contrario, jusqu’au début de l’année 2012, les femmes et les adolescents soutenant le régime étaient omniprésents et très visibles, que ce soit lors des manifestations nocturnes en voitures ou au cours des grands rassemblements (les « massirat ») sur les places centrales des villes.

Plusieurs paramètres expliquent cette différence de mobilisation : l’absence ou pas de danger (les manifestations anti-régime ont été férocement réprimées dès mars 2011 alors que les manifestations pro-régime étaient largement encouragées par le régime) et le degré d’émancipation des femmes (les femmes d’appartenance confessionnelle minoritaire et notamment les Alaouites sont proportionnellement plus éduquées et plus émancipées. Par-dessus tout, la mixité n’est pas rejetée au sein de leurs communautés respectives).

Notons qu’au printemps 2011, le régime mit fin aux activités des associations féminines, à l’exception de l’Union générale de la femme et de ses branches régionales. Ces structures se sont révélés être de redoutables instruments de mobilisation des femmes ba’thistes. Beaucoup de femmes fonctionnaires anti-régime n’ont eu d’autre choix que de se rendre aux manifestations pro-régime, redoutant la désapprobation de leurs collègues ou pire, la perte de leur emploi, pain béni dans un contexte de crise économique aigüe.

En écho avec les manifestations exclusivement féminines, (Je pense au « Vendredi des femmes libres de Syrie » organisé le 13 mai 2011, aux opérations « coup de poing » du 13 avril à Bayda où les femmes se sont rassemblées et ont marché sur le highway, en s’adressant directement aux caméras),  les militantes pro-régimes ont tenu leurs propres manifestations. A titre d’exemple, en novembre 2011, des milliers de femmes se sont rassemblés sur la place symbolique de Bab Touma, quartier chrétien de Damas. Ainsi, on constate que les deux camps adoptent autour de l’image de la femme une approche et une stratégie de communication très proche.

En ce qui concerne les motivations des femmes « pro-régime », on compte l’adhésion aux représentations de complot international contre la Syrie, la peur des Islamistes et par conséquent, la peur d’un retour en arrière au niveau du statut de la femme et des droits des minoritaires, etc. Le régime s’appuie largement sur ces représentations de menace et continue d’instrumentaliser l’image émancipée des femmes pro régime. Ainsi, pour médiatiser le massacre de Daraya, il choisit une chrétienne au nom sans équivoque : Micheline Azar.

Il faut dire qu’assez classiquement, dans le cadre d’un conflit, en raison des valeurs que représentent les femmes dans de nombreuses sociétés, ces dernières deviennent de véritables instruments de mobilisation populaire, aux niveaux interne comme international, grâce aux charges émotionnelles qu’elles véhiculent. Ainsi, l’image de la femme a été instrumentalisée par le régime pour décrédibiliser l’adversaire, l’accusant de désinformation. Je pense en particulier à la fameuse affaire de l’assassinat de Zainab médiatisée par les opposants et reprise par les médias internationaux et qui est réapparue vivante quelques jours plus tard. Ou encore, l’histoire de cette bloggeuse syrienne arrêtée, qui s’est avérée être en réalité un Américain qui s’était inspiré de la bloggeuse, cette fois-ci bien réelle, Razan. Si le régime cherche tant à décrédibiliser l’image des femmes de l’opposition, c’est qu’il redoute l’ampleur et la portée médiatique bien réelle de leur activisme, que ce soit à l’échelle interne ou sur la scène internationale.

C-    Enjeux de la visibilité médiatique des mobilisations féminines

 La plupart de ces femmes partagent des valeurs de tolérance  religieuse (elles ne se prononcent pas sur la dimension ethnique, trop sensible). En revanche, jusqu’à récemment, rares étaient celles à se positionner sur le terrain de la défense des droits de la femme. Seule la situation politique actuelle les préoccupe. En outre, jusqu’à présent, ces femmes, notamment celles issues des groupes minoritaires de l’opposition, continuent de nier tout danger de radicalisation religieuse en Syrie, dénonçant la barbarie du régime et sa prise en otage des minoritaires.

 1/Les militantes « historiques »

Ces rares femmes sont sorties de l’ombre et ont été fortement médiatisées, donnant ainsi un visage féminin à un soulèvement jusqu’alors très masculin. Certaines, à l’instar de Suhair al-Atassi ou l’avocate Razan Zeitoneh, ont été en premières lignes du soulèvement dès mars 2011. Elles ont joué un rôle incontournable dans l’organisation, la structuration et la médiatisation internationale des comités de coordination de la révolution. Leur action leur a permis, pour certaines, d’entrer en contact et de se faire connaitre de pans entiers de la société qui leur étaient jusqu’alors inconnus. En effet, jusqu’alors, des personnalités comme Suhair al-Atassi étaient seulement connues de cercles d’intellectuels ou d’opposants au régime extrêmement restreints ou d’universitaires occidentaux.

Certaines d’entre elles ont établi des liens plus ou moins étroits avec des cercles politiques ou diplomatiques occidentaux  grâce à leurs liens familiaux (elles sont souvent issues des grandes familles de nationalistes arabes ou des anciennes clientèles traditionnelles de la France) ou à leur expérience dans le militantisme (formation de réseaux de défense des droits de l’homme, connexion avec l’étranger) ou enfin leurs réseaux professionnels (elles ont fait leurs études ou elles ont travaillé à l’étranger).

En 2001,Suheir al-Atassi s’est fait connaitre en raison de son activisme lors de ce qu’on a appelé le « printemps syrien ». Elle tenait un célèbre salon politique qui depuis a été fermé. Petite fille d’un des plus célèbres nationalistes syriens, elle a mis son nom de famille prestigieux et ses réseaux internationaux au nom de la lutte contre le régime. Al-Jazeera l’a sortie quelque peu de l’anonymat en retransmettant en direct un discours adressé aux manifestants du quartier Khaldiyé à Homs en décembre 2011. Incontournable dans le processus de structuration du mouvement révolutionnaire sur le terrain, c’est pourtant à l’étranger qu’elle est la plus populaire. Depuis l’automne 2011, elle vit en France où elle œuvre pour faire avancer les négociations entre les différents courants de l’opposition et faire du lobbying auprès des puissances occidentales. Son parcours de militante a fait l’objet de nombreux articles dans la presse française.

2/Les militantes de la blogosphère

Razan Zeitouni incarne cette nouvelle génération de militantes de défense des Droits de l’homme, rendue célèbre grâce à son activisme sur les réseaux sociaux. Cette avocate lutte pour la défense des droits de l’homme depuis des années. Inconnue jusqu’à mars 2011, elle a beaucoup milité sur le terrain et depuis, a organisé de nombreuses manifestations pacifistes. Elle vit désormais cachée, traquée par les services sécuritaires du régime. Son engagement militant et ses sacrifices personnels en ont fait une véritable icône des médias occidentaux et des bloggeurs syriens anti-assad.

Elle a ouvert la voie à l’apparition de nouvelles militantes, étudiantes, journalistes, avocates, architectes, etc. Certaines œuvraient bien avant le déclenchement du soulèvement et des manifestations publiques. La protection qu’offre Internet leur permettait de dénoncer l’atteinte aux droits de l’homme, aux droits des femmes et des enfants, la corruption, et ce, quelle que soit leur appartenance communautaire.

 La plupart était néanmoins dépolitisées avant mars 2011. C’est l’horreur inqualifiable de la répression du régime qui a eu raison de la peur de ces jeunes femmes éduquées. Elles ont décidé de prendre position à travers des blogs ou des sites d’opposition sur Internet. Elles rédigent des comptes rendus sur la répression ou des articles pour des sites d’opposition comme le Centre syrien des Médias et de la liberté d’expression.

Le sort de ces militantes arrêtées et torturées est fortement relayé par les réseaux sociaux (sur Facebook, des pages en anglais, français et arabe sont entièrement consacrées aux jeunes activistes arrêtées, des pétitions sont signées pour leur libération). Ce phénomène contribue à les sortir de l’anonymat au niveau international.

Toutefois, il convient de préciser que la majorité des Syriens n’ont pas d’accès régulier à Internet. Les cafés internet sont extrêmement surveillés et la pénurie d’électricité n’améliore pas la situation. Ils ne sont donc pas touchés par ce phénomène de blogosphère. A ce titre, la chaine qatarie Al-Jazeera joue un rôle bien plus important dans la mesure où elle touche un public nettement plus large.

3/Les artistes et écrivains 

 Le cas des artistes est un peu à part en raison de leur très grande popularité en Syrie, la production de séries télévisées syriennes étant très importante et diffusée par les chaines satellitaires dans l’ensemble des pays arabophones.

Longtemps accusés de bénéficier des largesses et du soutien du régime, les artistes syriens se sont retrouvés très rapidement dans le collimateur à la fois du pouvoir et de l’opposition. De nombreux artistes ont en effet signé les deux manifestes successifs appelant à l’arrêt des violences à Deraa et à l’acheminement de l’aide humanitaire. Ils ont reçu, personnellement ou leurs proches, de très graves menaces, et par conséquent, ils ont dû fuir ou se taire de nouveau.

Parmi ces artistes, certaines se sont distinguées, notamment des femmes issues des minorités confessionnelles et surtout une en particulier ; Fadwa Souleiman, l’une des très rares femmes à bénéficier d’une aura nationale en Syrie. Actrice syrienne d’origine alaouite, elle est devenue le symbole féminin du refus de l’instrumentalisation communautaire par le régime. En novembre 2011, elle s’est fait remarquer par son discours adressé à la population syrienne, les cheveux coupés à la garçonne, sans maquillage, habillée en rebelle. Cette vidéo a fait le tour des réseaux sociaux nationaux et internationaux et a été fortement relayée par les chaines satellitaires arabes. Véritable icône populaire des révolutionnaires, y compris dans les quartiers les plus pauvres et conservateurs de Homs, elle a dû néanmoins très rapidement se cacher car elle était traquée par ses coreligionnaires et les partisans du régime. Reniée par sa propre famille, elle a finalement dû fuir et se réfugier en France fin mars 2012.

Samar Yazbek est un autre exemple d’artiste d’origine alaouite, refusant d’être prise en otage par le régime syrien. Installée depuis juillet 2011 à Paris, elle témoigne inlassablement de son expérience dans les geôles syriennes à travers des articles, des colloques, des débats et un ouvrage qui vient de paraitre. En revanche, elle ne bénéficie d’aucune popularité auprès des masses syriennes sur le terrain.

La sur médiatisation de ces femmes minoritaires (alaouites, druzes, chrétiennes), ou de sunnites non voilées et leur discours revêt une portée politique indéniable. Leur visibilité répond à un sentiment impératif de contrer tout amalgame avec le « féminisme d’Etat ». En effet, dans les représentations populaires, les femmes occidentalisées et laïques ont été associées au régime et donc à la corruption et à la mainmise des minoritaires sur les postes à haute responsabilité de l’Etat. Il est par conséquent essentiel que dès à présent, ces femmes à l’allure moderne, émancipée et non voilées se dissocient totalement des Asma, Bushra et Butheina, qui font l’objet d’un immense rejet populaire. Précisons aussi que si ce type de femmes s’investit davantage dans la sphère publique. Cela est en partie dû aux facilités intrinsèques liées à leurs communautés respectives, plus ouvertes sur la question de la mixité.

Toujours est-il qu’un constat s’impose. La médiatisation des noms et visages de ces femmes les ont obligées à se réfugier à l’étranger ou à vivre cachées en Syrie, traquées par le régime.

Partie 3 : Impacts et enjeux de la transformation de la nature du conflit sur la place de la femme dans la Syrie post Assad.

 A- Evolution de la nature et des modalités de mobilisation

 1/Rôle croissant de l’opposition en exil

Désormais, seul l’anonymat confère une certaine sécurité et une plus grande marge de manœuvre aux femmes mobilisées sur le terrain. Celles qui se font interviewées par les médias utilisent des pseudonymes et lorsqu’elles passent à la télévision, elles se voilent entièrement jusqu’au niveau du nez et portent de grosses lunettes noires afin qu’on ne les reconnaisse pas. A titre d’exemple, on peut citer Sheima al-Bouti qui témoigne régulièrement sur Al-Jazeera (il s’agit d’un nom d’emprunt qui n’est pas anodin, al-Bouti renvoyant à une grande famille sunnite damascène incarnée en la personne du grand Mufti de la RAS, soutien inconditionnel du régime).

Pour continuer leur combat, les militantes sur le terrain qui bénéficiaient déjà en amont de relais politiques et diplomatiques occidentaux ont pu s’exiler à l’étranger pour continuer leur action. Au premier rang desquelles Suhair al-Attassi, proche des Français, mais aussi Rima Flihan d’origine druze, écrivain, activiste plusieurs fois arrêtée en Syrie, exilée en  et représentante des Comité locaux de coordination, Samar Yazbek, Fadwa Sleiman, etc.

Les médias mais aussi l’Elysée et le Quai d’Orsai les ont largement sollicitées. A titre d’exemple, on peut citer la conférence de presse d’Alain Juppé tenue le 25 avril 2012 en leur compagnie.

On trouve d’autre part des femmes d’origine syrienne qui n’ont jamais ou sinon peu vécues en Syrie. La plupart de ces élites (universitaires, architectes, artistes, etc.) sont tout à fait intégrées au sein des cercles politiques et universitaires occidentaux (et notamment français), ce qui facilite l’impact de leur activisme et leur visibilité. La plus connue est incontestablement Basma Kodmani, ancien chercheur au CERI et à l’IFRI, co-directrice de l’Académie diplomatique internationale avec J.C Cousseran, membre fondateur et ancienne porte-parole du CNS. Fille d’un diplomate syrien, on lui a beaucoup reproché son absence totale d’ancrage sur le terrain et surtout l’absence de passé d’opposante au régime. Sa nomination fut considérée comme un parachutage. Caution des laïcs, elle a démissionné l’été 2012. Sa sœur Hala Kodmani est journaliste à Libération. Ancienne responsable du desk arabe de France 24, elle est la présidente de Souriya Houriya.

A l’instar du régime syrien, le Conseil National Syrien a largement exploité les figures féminines pour adoucir son image sur les plateaux télévisés occidentaux. Là encore, la surreprésentation des femmes non voilées et minoritaires au sein de l’opposition en exil n’est pas un hasard.

Cette stratégie de communication basée sur l’image de la femme syrienne, émancipée, moderne, laïque, renvoient largement à celle du régime. Elle vise à compenser la montée en puissance des courants islamistes sur le terrain mais aussi au sein de l’opposition en exil.

En outre, un public occidental sera plus sensible au sort du peuple syrien si on lui propose des portraits de femmes répondant aux critères d’émancipation occidentale (qu’il conviendrait d’ailleurs de préciser). En revanche, et c’est une première, les médias syriens cherchent désormais à légitimer l’action du pouvoir en instrumentalisant l’image de femmes sunnites du « peuple », c-a-d voilées. Je dis « première » car jusqu’alors, le régime cherchait à projeter une image respectable uniquement sur la scène internationale, estimant n’avoir aucun compte à rendre auprès de la population syrienne.

 2/Enjeux de la radicalisation et de la militarisation du conflit

 Après avoir été dans un premier temps marginalisées puis ponctuellement mises en scène (tournage de séquences vidéos avec des femmes voilées portant des lunettes noires défilant à Daraya, muettes, avec des pancartes, opérations coups de poing, etc.), on a pu observer un phénomène croissant de mobilisation des femmes lors des manifestations du vendredi en automne 2011. La représentation selon laquelle plus la manifestation était  massive, moins les femmes encouraient de risques, s’était progressivement imposée dans les esprits. D’autant plus que les hommes s’organisaient pour les protéger en les rassemblant toutes au centre des grandes places. Dans les villes provinciales ou les quartiers populaires où il s’agit plus souvent de défilés contestataires, les manifestantes défilaient réunies derrière les rangs d’hommes. Toutefois, depuis le début de la militarisation de l’opposition, on a  observé une diminution drastique de la présence féminine les vendredis.

Enfin, depuis janvier 2012, les bombardements aériens touchent indifféremment les femmes, les enfants et les hommes. Les femmes sont touchées dans leur quotidien. Elles ont toutes perdues un être cher, un mari, un père, des enfants. Elles subissent de plein fouet les pénuries alimentaires, énergétiques, et la violence. Par conséquent, le rôle des femmes s’est progressivement élargi et accru, à mesure que les hommes désertaient leurs foyers pour combattre. Pour autant, beaucoup continuent d’agir de manière anonyme ou en cachette de leur famille, sous un pseudonyme.

Désormais, l’Armée Syrienne Libre (terme générique renvoyant aux groupes armés d’opposants) compte de nombreuses femmes militantes. Les premières n’étaient autres que les épouses, sœurs ou filles de martyrs. Ces femmes sorties de leur foyer face à la nécessité de la situation et/ou par conviction, se voient confier des tâches qui en font des maillons indispensables pour la poursuite du mouvement. Elles exploitent les conventions sociales qui d’ordinaire les excluent de toute interaction avec les hommes pour jouer le rôle d’agent de liaison irremplaçable. Jusqu’à récemment, elles bénéficiaient d’une plus grande liberté de mouvement que les hommes. Elles usent de mille ruses. Bénéficiant d’une image de femme douce et pieuse, elles suscitaient moins la méfiance des soldats et n’étaient donc pas fouillées aux checkpoints. Le port du voile et du manteau islamique s’avèrent des armes redoutables car ils permettent aux femmes de circuler anonymement dans les rues des grandes agglomérations et de faire passer des armes, des téléphones satellites, des médicaments, etc. Les activistes non voilées portent le voile pour passer incognito dans les quartiers conservateurs. Souvent, pour des missions risquées, elles remplacent les hommes. Jusqu’à récemment, les voitures conduites par des femmes n’étaient pas fouillées. Jouissant d’une image de sérieux et de loyauté, les femmes font également office d’interface entre les réseaux de donateurs à l’étranger et les rebelles sur le terrain. Elles collectent l’argent puis le redistribuent. Elles sont les reines de la contrebande de cash, médicaments et armes. Elles font également office d’éclaireur sur les routes patrouillées par les soldats. Elles gèrent les hôpitaux de campagne où elles constituent d’importants effectifs, de même dans les centres de médias et pour la logistique de l’organisation de l’aide.

C’est en partie grâce à leur mobilisation que les attaques armées des opposants se sont sophistiquées, touchant désormais le cœur même de Damas.

Toutefois, depuis la multiplication des attentats à Damas et à Alep, les soldats du régime vérifient désormais les cartes d’identité des femmes.

Parallèlement à cette dynamique, sont apparues depuis quelques mois, des mouvements féminins à coloration islamique, à l’instar des « Khawla Bint al-Aswar », la soi-disante branche armée féminine de l’Armée Syrienne Libre. Dans une vidéo du 26 janvier 2012 relayée par l’ASL, on voit 6 femmes armées de kalachnikov. Depuis, on n’en a jamais plus entendu parler. De même, le réseau des prédicatrices islamiques Qubeissyat ont pris position en faveur de la lutte armée dans une vidéo.

A Homs, une organisation armée féminine du nom de “Banat al-Walid battalion” aurait été également créée. D’autres vidéos mettent en scène de vieilles femmes voilées de noir portant fièrement un AK 47, prétendant rejoindre l’ASL après la mort de leurs fils, ou mari, n’y changeront rien.

Toutefois, cette image de « mère guerrière » semble largement relever de la mise en scène.  Ces vidéos sont exploitées par certains groupes pour mobiliser davantage d’hommes mais concrètement, on compte peu de femmes qui font la guerre directement au sein de groupes masculins, d’autant plus que ces derniers sont de plus en plus radicaux et intégristes.

Dans les rues, la présence croissante des Salafistes  et djihadistes aux agendas clairement religieux pose des problèmes face à la présence croissante des femmes sur le terrain. Beaucoup refusent aux femmes le droit de lutter en armes à leur côté.  Quels que soient les efforts de communication en matière de genre, le conflit en cours demeure dominé par les hommes. C’est eux qui se battent et qui prennent les décisions. Les femmes jouent plutôt un rôle de support. Ces vidéos constituent néanmoins en soi un acte politique, rappelant la présence et le rôle des femmes dans le combat. Elles pourront ressortir ces preuves à l’heure des recompositions sociales et politiques de l’ère post Assad.

B-Perspectives dans la Syrie de demain

 1/ Révolution sans émancipation sociale ?

Les efforts des Ba’thistes pour éradiquer certaines pratiques patriarcales se sont avérés vains, notamment en matière des crimes d’honneur. Des femmes se font encore régulièrement assassiner en Syrie au nom d’une vision de l’honneur tribal d’un autre âge. Quels sont les actes qui justifient aux yeux de pans entiers de la société l’assassinat de femmes par un des membres de leur famille ? Des relations sexuelles avant le mariage ou extraconjugales mais aussi et surtout dans la situation actuelle de guerre civile, les viols. De nombreuses dispositions législatives relatives au statut personnel (héritage, crime d’honneur) demeurent défavorables à la femme, en dépit des injonctions internationales.

Un décret présidentiel a permis la modification de l’article 548 du code pénal relatif au crime d’honneur. Mais il ne l’a pas supprimé. Le meurtrier entrant dans le champ d’application de cet article est désormais passible d’une peine minimale de deux ans de prison ferme. Dans les faits, les meurtriers continuent de bénéficier de l’indulgence de la société, du monde politique et des tribunaux.

Quand bien même les jeunes femmes ne sont pas tuées, elles doivent fuir leur famille (ou elles en sont chassées) car aux yeux de ces derniers, elles sont des filles « perdues », seules responsables de leur déshonneur. Elles doivent se réfugier en ville, loin de toute connaissance. Parfois, elles sont récupérées par un oncle ou beau-frère dans une autre ville, ou bien elles trouvent un époux, le premier venu, qui les accepte non vierges et c’est souvent à ce moment qu’elles commencent à être exploitées sexuellement dans une autre ville, loin du scandale.  La Syrie a pourtant adhéré en 2005 au Protocole de Palerme visant à réprimer la traite des femmes et des enfants. Elle est signataire de la Convention pour l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes. Pourtant, il existe une grande différence entre la loi et son exécution.

Damas, capitale politique, économique et culturelle de l’Etat syrien, constituait jusqu’en 2011 le principal pôle d’accueil de la plupart des migrations internes syriennes, et à ce titre, apparaissait fréquemment comme l’ultime refuge des jeunes filles ayant perdu leur virginité avant le mariage.

Quel impact aura la guerre civile actuelle sur ces flux et sur ces femmes?

 Dans le contexte d’une guerre civile latente, la question des réseaux mafieux syriens et irakiens se posent avec acuité. Le kidnapping des filles de dignitaires ba’thistes ou de notables (médecin, juge, ingénieur) à Damas et à Alep devient de plus en plus fréquent. Contre-rançon, les filles (ou enfants) sont restituées, sans garantie toutefois que l’honneur de la famille soit préservé. En revanche, que devient-il des fillettes de 13-15 ans enlevées dans les quartiers populaires ou informels de la capitale et non restituées à leurs familles ? Une prostitution de « guerre », à l’instar des Irakiennes, risque de se développer dans les faubourgs des grandes villes syriennes, de même que la prostitution « d’honneur » pourrait bien augmenter en raison des viols de guerre, le recours au crime d’honneur, dans un contexte de militarisation du conflit et d’injustice flagrante, n’étant certainement pas en phase d’être abandonné….

En effet, d’après les témoignages qui nous arrivent, les attitudes misogynes persistent à l’égard des femmes. Les hommes qui se font tués deviennent aux yeux de leurs proches et camarades des martyrs, les blessés qui rentrent chez eux, des héros. Mais les femmes, y compris celles qui se font violer et les réfugiées, demeurent stigmatisées dans cette société conservatrice. La souffrance n’est pas perçue comme équivalente.

Paradoxalement, alors que l’image d’un être faible, devant être protégée domine dans les représentations masculines, les femmes sont tenues responsables de leurs souffrances, quelles que soient les circonstances.

Or on le sait, le viol est une arme classique de guerre. Elle est largement utilisée en Syrie bien qu’il ne soit pas établi pour l’heure qu’elle fasse l’objet d’un projet précis systématisé. C’est à Homs que l’on compte le plus de viols massifs répertoriés.

Ce n’est pas anodin car ces violations de l’intégrité du corps de la femme constituent d’énormes tabous en Syrie. Dès lors, on ne sait pas grand-chose de ce phénomène, très peu de femmes témoignent et celles qui le font témoignent en abayyah, de peur d’être reconnues : elles encourent le risque de se faire assassiner par un de leur proche, malgré le contexte sécuritaire et politique.

On l’a vu, les femmes activistes sur le terrain sont victimes d’arrestation et de tortures au même titre que les hommes. Or, le simple fait qu’une femme soit emprisonnée dans un centre de détention suffit à ce qu’elle soit répudiée par son époux à son retour, même si elle n’a pas été violée. Voir certaines tuées par un membre de leur famille.

D’autres, femmes de militants,  se retrouvent souvent seules avec leurs enfants, les maris étant morts, enfermés, kidnappés ou vivant dans la clandestinité. Elles se retrouvent dans une situation d’extrême vulnérabilité en raison du chaos sécuritaire qui règne désormais dans toutes les villes de Syrie.

Le cas des réfugiées est tout aussi préoccupant.

De nombreuses femmes fuient seules avec leurs enfants à l’étranger. Pendant leur périple et au cœur même  des camps de réfugiés, vouées à elles-mêmes, certaines sont violées, faute de protection masculine. Or 75% des assistés par la CICR seraient des femmes et des enfants.

Il suffit de taper « femmes syriennes » sur Internet pour tomber sur des forums qui proposent des femmes syriennes (prostituées) ou sur des annonces d’hommes arabes recherchant des femmes syriennes à épouser. Il s’agit majoritairement de Saoudiens mais aussi des Libyens, des Irakiens et des Turcs qui démarchent les réfugiées à Bengazi et dans les camps de réfugiés de Jordanie pour des prix dérisoires. Ce phénomène est encouragé par des cheikhs comme Adnan Arour, un religieux radical qui a émis une fatwa de « solidarité », de devoir religieux pour encourager les hommes riches à épouser les victimes de viols afin de les laver de toute honte. Sauf que ce genre de fatwa encourage et amplifie l’exploitation sexuelle de ces victimes. C’est devenu un véritable business, d’autant plus que la femme syrienne jouie dans tout le Maghreb et le Machrek d’une réputation de grande beauté. Épouser une Syrienne constitue un fantasme pour de nombreux hommes. Des parents vendent ainsi leurs jeunes filles encore pubères à des hommes âgés. Pour les parents, il s’agit d’une bouche en moins à nourrir et cela ne leur apparait pas à tous choquant puisque ce phénomène est depuis toujours très répandu dans les milieux populaires pauvres en Syrie.

Ce phénomène renvoie aussi à des problèmes sociaux inhérents aux sociétés patriarcales conservatrices: la frustration sexuelle. Toute relation sexuelle est strictement interdite en dehors des liens conjugaux et tout mariage doit être précédé de l’apport d’une dote négociée entre le mari et les parents de la mariée. Ce qui explique que de nombreux jeunes hommes ne se marient pas, faute d’argent. Le nombre de femmes réfugiées vierges en situation de grande vulnérabilité économique étant croissant, les « prix » des dotes baissent dramatiquement, les conditions imposées par les parents de la mariée sont quasi inexistantes et le mariage peut être conclu très rapidement. Sur le territoire syrien, on observe le bradage des sœurs ou des veuves de combattants syriens à des djihadistes étrangers, cadeau de remerciement pour leur soutien dans la lutte armée. Dans de nombreux milieux, les Syriennes demeurent des marchandises de guerre.
Le cas des réfugiées en Afrique du nord et notamment en Algérie, seul pays arabe n’exigeant pas de visa pour les ressortissants arabes, est dramatique. Ces femmes ont bien souvent quitté leur pays après avoir perdu leurs maris, pères ou frères. Or il n’existe pas de camps de réfugiés au Maghreb. On ne compte plus les Syriennes accompagnées de leurs enfants mendiant dans les rues, les gares, les jardins, devant les magasins, les mosquées et autres endroits publics. Après avoir dépensé toutes leurs économies au cours d’un très long périple, elles se retrouvent dans la rue à mendier car aucun centre d’accueil ni réseaux caritatifs religieux ne s’intéresse à leur sort. Vouées à elles-mêmes, elles se retrouvent dans une situation de vulnérabilité extrême (faim, prostitution, interpellation pour délit de mendicité illicite, etc.).

2/Enjeux de la représentativité politique de la femme dans le processus transitionnel démocratique

 Que ce soit sur le terrain ou en exil, les militantes souffrent d’un accès difficile aux postes à responsabilité bien que leur image soit largement exploitée pour toucher les publics concernés. Les derniers événements à Doha la semaine dernière (du 8 au 11 novembre) confirment cette tendance.

Le 7 novembre 2012, lors de la convention du Conseil National Syrien à Doha, des élections internes furent organisées afin de renouveler le leadership des organes dirigeants et surtout pour l’élargir à une plus grande diversité. Sur 41 postes, aucune femme ne fut élue. Certaines femmes déléguées présentes (du reste, peu nombreuses bien que certaines soient des actrices du terrain depuis peu en exil), épaulées par quelques délégués masculins fustigèrent ce manque de représentation féminine : « Où sont les femmes ? ». Cette absence de représentativité politique confirme leur marginalisation au sein de l’opposition en exil. Par la suite, suite à d’énormes pressions des chancelleries occidentales, scandalisées, le CNS annonça qu’il y remédierait en nommant des femmes au secrétariat général par décret. Pour améliorer son image, le CNS adopta en effet un quota de 15% de femmes au sein de son assemblée générale élargie à 420 délégués.

Coup de théâtre le 11 novembre 2012 au soir. Sous pression, les 60 membres de l’Alliance nationale syrienne, futur gouvernement transitoire syrien voulu par les Américains et les Français, ont élu Suhair al-Attassi comme vice-présidente. Suhair apparait désormais comme la caution féminine, occidentale et moderne du projet visant à réunir les minoritaires et les laïcs au sein d’une opposition unifiée. Ryad Seif, à l’origine de cette initiative fut également désigné vice-président. Il représente la caution des business man, des ba’thistes et des opposants de l’intérieur. Enfin,  le président, Mo’az Khatib, ancien prêcheur de la mosquée des Omayyades, est la caution des musulmans conservateurs. Par son statut et sa personnalité de consensus, sa présence pourrait calmer les radicaux et permettre le regroupement de tous les combattants syriens, djihadistes ou pas sous son autorité.

Il ne faut toutefois pas se laisser leurrer par les apparences. A la vue des images retransmises des Syriens présents et discutant dans les halls d’hôtels, les femmes demeurent les grandes absentes du processus politique en cours. La mixité n’est pas entrée dans les mœurs syriennes, y compris à l’étranger où la branche syrienne des Frères Musulmans continue de dominer largement l’opposition. La politique demeure une affaire d’hommes.

L’argument du manque d’expérience politique des femmes n’est pas valable. La très grande majorité des personnalités émergentes dans l’opposition syrienne ne possède aucun passé politique. Ils sont pour la plupart au même stade. La nomination de Suhair constitue néanmoins un acte politique à la portée très significative en vue de mettre un terme à l’amalgame : femmes non voilées et émancipées/ femmes du régime des Assad. D’autant plus que sur le terrain, on l’a vu, ce sont bien les femmes voilées qui sont désormais les héroïnes anonymes de la révolte. Il faut donc se méfier des images fortes, telle que la médiatisation de jeunes militantes syriennes retirant leur hijab en protestation contre les structures sociales conservatives en Syrie. Il s’agit d’un geste extrêmement rare et surtout dangereux pour l’intégrité physique de ces personnes sur le terrain.

Conclusion :

Les actes héroïques de nombreuses femmes qui ont bravé les troupes de la mort du régime semblent les avoir libérés un laps de temps restreint de la tyrannie sociale. Non par conviction masculine mais par nécessité. Bien que le rôle des femmes s’avère à maints égards indispensable et décisif dans l’évolution du rapport de force sur le terrain et qu’elles soient les cibles d’assassinats et de torture au même titre que les hommes, la reconnaissance et l’avancée de leurs droits en matière d’égalité dans la Syrie de demain ne sont nullement garanties. Déjà, certaines tendances inquiétantes se confirment, que ce soit sur le plan social ou sur le plan politique. Cette situation soulève de nombreuses questions transversales.

La réappropriation de la nation syrienne passera-t-elle par la réappropriation du corps des femmes ? L’Antiféminisme, par opposition aux figures féminines instrumentalisées sous le régime syrien, sera-t-il brandi comme gage de moralité ? La révolution va-t-elle engendrer  des ruptures sociales et une redéfinition des rapports de sexes dans la Syrie de demain ? Une extrême vigilance est de rigueur.

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A quand le temps de la diplomatie?

L’intransigeance et le jusqu’au boutisme de l’ensemble des acteurs en présence, qu’ils soient locaux, régionaux ou internationaux, caractérisent le confit syrien depuis le début de l’année 2011. Les surenchères militaires répondent aux surenchères verbales, la guerre médiatique bat son plein. Aujourd’hui, on nous parle d’échec de la diplomatie, d’où la nécessité d’une attaque « punitive » contre le régime syrien. Mais où sont les négociations, les compromis, bref, le temps de la diplomatie? Depuis 2011, à aucun moment il n’y en a été question, en dehors bien sûr des discours de bonne intention des responsables occidentaux, russes et syriens. L’ensemble des acteurs restent braqués sur leurs positions, refusant tout dialogue avec leurs adversaires et ce, quoi qu’en disent leurs médias respectifs.

Vous appelez cela de la diplomatie? La diplomatie, au contraire, c’est parler avec (et avant tout) avec son adversaire afin d’essayer de trouver une issue autre que militaire à un problème politique. Malheureusement, personne ne veut faire de compromis, les enjeux géostratégiques mais aussi de gouvernance mondiale et énergétiques (routes de transit) dépassant de très loin la dimension interne du conflit syrien. Sous nos yeux, les grandes puissances actuelles et de demain sont en train de redéfinir les règles des rapports de force internationaux sur le sang de centaines de milliers d’innocents et sur les ruines d’un des patrimoines culturels les plus riches au monde, celui de la Syrie….

Le temps des règlements de compte arrivera bien suffisamment vite. Pour l’heure, il n’est pas question de savoir qui est coupable (on en a tous une petite idée) mais de trouver une solution pour mettre fin à ce bain de sang. C’est la priorité! Or sur cette question, ni le régime, ni les opposants syriens, encore moins les populations civiles, en exil, réfugiées internes ou vivant toujours sur place, n’ont leur mot à dire….

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Isabelle Feuerstoss, Analyse sur l’opposition syrienne

Résumé :

 

La fin imminente du régime de Bashar al-Assad est annoncée depuis deux ans par de nombreux pays occidentaux.

Depuis l’été 2012, l’amélioration des performances opérationnelles des groupes rebelles face aux forces de Bashar al-Assad a entrainé un certain rééquilibrage des forces sur le terrain. Désormais, les factions armées contrôlent de larges pans du territoire national (notamment au nord, nord-est et au sud du pays)[1]. Quels sont les facteurs qui empêchent l’opposition syrienne de prendre le dessus sur l’armée régulière ?

 

Introduction :

 

Le mouvement de contestation pacifiste, spontané et décentralisé qui a éclaté en Syrie au printemps 2011 a pris l’ensemble des acteurs par surprise : le pouvoir qui n’a su contrôler son expansion et l’opposition qui n’a su l’organiser autour d’un leadership politique unifié.

L’opposition s’est développée et morcelée en différents groupes poursuivant des objectifs politiques très différents les uns des autres, voire fondamentalement divergents, ce dont joue le pouvoir en place. Ce morcellement ainsi que l’ingérence à des fins partisanes de certains états régionaux a rendu problématique l’intervention des puissances occidentales, échaudées, par ailleurs, par les expériences irakienne et afghane. L’enjeu actuel est donc d’obtenir un consensus suffisant entre les différentes oppositions intérieures et extérieures de façon à garantir une efficacité croissante sur le terrain et dans l’action politique. De nombreuses tentatives en ce sens ont été faites et continuent à l’être sans grand succès jusqu’à présent.

 

1/Etat des lieux :

 

A la veille du soulèvement en 2011, le paysage de l’opposition syrienne était déjà particulièrement fragmenté. Depuis l’insurrection armée menée par les Frères Musulmans syriens[2] à la fin des années 1970, toute appartenance à l’islam politique était formellement interdite sur le sol syrien (loi n°49 de 1980 condamnant à la peine de mort toute appartenance à la confrérie). Dès lors, les Frères musulmans ne purent se réorganiser politiquement qu’en exil. À la veille de la révolte en 2011, le leadership vieillissant de la confrérie était totalement déconnecté des jeunes révolutionnaires sur le terrain.[3]

Quant à l’opposition historique non islamiste, au début de l’année 2011, sa situation n’était guère meilleure. Lors de l’arrivée au pouvoir de Bashar al-Assad au début des années 2000, des forums et des plateformes de discussion s’ouvrirent un peu partout en Syrie, regroupant des tendances politiques très variées (gauchistes, libéraux, kurdes, islamistes, etc.) Face à la multiplication des revendications politiques internes (pluripartisme, abrogation de la loi sur l’Etat d’urgence en vigueur depuis 1963, liberté d’expression, de la presse, droits pour les Kurdes, etc.), le pouvoir mit fin à cette dynamique au printemps 2001. En dépit des risques encourus, l’opposition réitéra son appel à un changement de régime avec la Déclaration de Damas pour le changement démocratique national[4] le 16 octobre 2005, ce qui entraina l’arrestation de ses leaders.[5] Dans ce contexte répressif, pour exister, les organisations de la société civile devaient se démarquer des partis en exil et de toutes revendications politiques.

Au vrai, à la veille du soulèvement en 2011, les organisations caritatives communautaires dominaient le paysage social syrien. On le sait, la société syrienne est traversée par l’enchevêtrement de nombreux clivages identitaires (confessionnels, ethniques, régionaux, socio-professionnels).

Dans les années 1990, deux principales formes sociales d’expression religieuse sunnite se développèrent (concession du pouvoir autoritaire à la majorité confessionnelle afin de compenser l’absence de libertés politiques) à travers des réseaux caritatifs et éducatifs.  La tendance islamique soufie, modérée et tolérante envers les minorités s’adressait plutôt  aux élites et aux classes moyennes urbaines tandis que le salafisme, tendance rigoriste et intolérante de l’Islam se développa dans les zones rurales et périurbaines déshéritées où les carences de l’Etat sont criantes.[6] C’est d’ailleurs de ces territoires encadrés par des réseaux de solidarité salafistes[7] échappant aux allégeances traditionnelles du pouvoir, que la révolte partit.[8]

 

2/Fragmentation des oppositions en exil et sur le terrain :

 

C’est sur cette toile de fond politico-sociale qu’émergea une myriade d’organisations au printemps 2011. Elles furent minées par de nombreuses rivalités de pouvoir, que ce soit à l’étranger ou sur le terrain, entre libéraux, gauchistes et islamistes mais de plus en plus au sein même des islamistes, entre les factions dites « modérées » et les factions salafistes radicales.)

Sur le terrain, les organisations coordonnant les manifestations et les activités des militants se réunirent principalement au sein de deux coalitions: les Comités locaux de coordination (CLC), créés dès avril 2011 et la Commission générale de la révolution syrienne (CGRS), créée en août 2011. Quant au Comité de la coordination nationale pour le changement démocratique (CCNCD), il fut fondé en septembre 2011. Il rassemble plutôt des figures de l’opposition historique laïque, gauchistes et kurdes.

A l’étranger, le Conseil national syrien (CNS) fut créé le 2 octobre 2011 à Istanbul sous l’égide de la Turquie, du Qatar, de la France et des Etats-Unis. Il a pour objectif de prendre le relais diplomatique et politique de la mobilisation intérieure violemment réprimée. Le CNS regroupe de nombreux signataires de la Déclaration de Damas, les Frères Musulmans de Syrie, certaines factions kurdes, des représentants des comités de coordination locale populaire et d’autres plateformes. Ce conseil est toutefois désorganisé et disparate, ses membres (majoritairement des élites intellectuelles et des hommes d’affaires) étant inexpérimentés sur le plan du leadership politique.

Les objectifs politiques de ces différents groupes d’opposants diffèrent les uns des autres. Alors que certains continuent de revendiquer le caractère pacifique du soulèvement, refusant toute forme d’ingérence étrangère et prônant le dialogue politique avec l’ensemble des parties (le CCNCD), d’autres au contraire ont appelé très tôt à la création d’une zone d’exclusion aérienne et à l’armement de l’opposition (le CLC et le CGRS).

Quant au CNS, il n’adopta pas de position claire sur le sujet, oscillant en fonction des revendications des militants sur le terrain. Ainsi, contrairement à son positionnement depuis 2011, il opéra un virage à la fin de 2012 se prononçant en faveur de l’armement des rebelles et de la création d’une zone-tampon.[9]

En outre, le soutien considérable apporté par la Turquie au CNS et à l’Armée syrienne libre (ASL) constitue pour les Kurdes (environ 10 % de la population syrienne) renforce la division au sein de la population kurde de Syrie, pourtant bien organisée au sein d’une quinzaine de partis politiques historiques. Certaines factions continuent de nourrir des projets de fédéralisme, voire d’indépendantisme, encouragés par l’exemple du Kurdistan irakien. Elles redoutent la majorité arabe sunnite (soutenue par Ankara) tout aussi réticente que le régime syrien à leur octroyer des « droits spéciaux ». La nomination d’un Kurde indépendant à la tête du CNS, Abdel Basset Sieda (10 juin 2012-9 novembre 2012), n’a pas permis d’apaiser leurs inquiétudes. D’autant que le régime syrien a de nouveau joué la carte kurde au début du soulèvement (octroi de la nationalité, ouverture d’écoles en langue kurde, etc.)

 

Sous l’égide des Etats-Unis et du Qatar, la Coalition nationale vit le jour le 11 novembre 2012 à Doha. Elle est censée être plus représentative de l’ensemble des forces (notamment les acteurs locaux, les minorités confessionnelles et ethniques) et mieux structurée. Toutefois, à maints égards, les objectifs et les pratiques du CNS et de la coalition apparaissent  identiques (rejet de toute forme de négociation ou de dialogue avec des représentants du régime actuel sans le départ préalable de Bashar al-Assad). En outre, le CNS n’a pas été dissout au sein de la coalition. 22 sièges sur 63 lui furent réservés et certains membres furent élus sous l’étiquette d’autres formations ou à titre indépendant.

De nombreux opposants laïcs et non sunnites voient dans l’intransigeance du CNS et de la coalition l’influence des Frères Musulmans soutenus par le Qatar.

Forts de la désorganisation des autres factions de l’opposition syrienne à l’étranger, ils ont en effet pu s’imposer comme la force dominante en exil depuis 2011 grâce à leur discipline et leur pragmatisme politique. Ils ne constituent pas à proprement parler la majorité des membres de l’Assemblée générale du CNS mais ils bénéficient du soutien de nombreux indépendants islamistes proches idéologiquement et d’alliés laïcs (à l’image du président du CNS, George Sabra). En outre, ils bénéficient de nombreux relais médiatiques (al-Jazeera), politiques (Qatar, Turquie) et sociaux (organisations caritatives et ONG humanitaires). Les Frères Musulmans dominent toujours la coalition en dépit des efforts occidentaux[10] pour rééquilibrer la représentativité de l’opposition interne (conseils locaux civils et militaires).[11] Or à l’heure où les initiatives d’autonomisation des acteurs dans les zones sous contrôle des factions rebelles sont croissantes (des structures disparates de gouvernance émergent au niveau local pour répondre aux besoins urgents des populations), leur intégration constitue l’unique moyen de donner de la légitimité au leadership politique en exil.

D’autant plus que les Frères musulmans n’arrivent pas à traduire leur leadership politique en exil sur le terrain, malgré la réactivation de leurs anciens réseaux familiaux, des alliances informelles avec des commandants rebelles (y compris salafistes) et des élites religieuses.

Dès lors, sur le plan international, tout l’enjeu pour les Frères musulmans consiste à se démarquer des salafistes en s’imposant comme leur unique alternative. Ainsi, ils coopèrent avec des groupes d’oppositions laïcs ou de gauche (au sein du CNS) tout en affichant des convictions démocratiques et pluralistes. On comprend mieux dans le contexte pourquoi les initiatives politiques individuelles sont rejetées par les instances de direction de la Coalition, comme la tentative de dialogue avec des représentants du régime lancée par le président démissionnaire de la coalition, Moaz al-Khatib.

 

3/ Militarisation et radicalisation croissante des acteurs sur le terrain :

 

Or sur le terrain, en absence de leadership politique, la divergence des intérêts et des objectifs politiques des activistes s’accroit à mesure que le conflit s’enlise.

 Dès l’automne 2011, face à la répression massive du régime et l’absence de soutien international concret, une partie de l’opposition se militarisa, marginalisant de facto les actions des militants pacifistes et les partisans d’une solution politique. Afin d’unifier et contrôler ce mouvement armé décentralisé, l’Armée Syrienne Libre (ASL) fut créée en novembre 2012 à partir d’un noyau de déserteurs de l’armée syrienne. Placée sous l’égide du CNS (même si dans les faits, il n’existe aucune chaine d’autorité entre les deux structures), l’Etat-major situé en Turquie ne fut jamais en position d’exercer son leadership auprès des factions armées syriennes, faute de moyens financiers, logistiques et d’une absence de visibilité sur le terrain. L’ASL est un label pour désigner l’insurrection armée qui permet aux factions s’en réclamant d’avoir accès aux financements et aux médias internationaux tout en se distinguant des groupes les plus radicaux.[12]

Alors qu’en 2011, il ne s’agissait que de petites unités locales de défense des civils, avec le temps, certaines factions se sont professionnalisées, certaines étant désormais présentes sur l’ensemble du territoire. Désormais, seuls les Etats (principalement le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie) ou de richissimes hommes d’affaires du Golfe, peuvent soutenir financièrement les offensives d’envergure lancées depuis juillet 2012 à Alep. Ces opérations nécessitent des armes lourdes,  de la coordination  et la mise en commun des ressources entre les différentes factions rebelles.[13] Elles ont permis des gains territoriaux considérables contre des positions stratégiques du régime (notamment des bases aériennes et des points frontaliers avec la Turquie et l’Irak) dans les régions d’Alep, d’Idlib, de Deir-Ez-Zor et plus récemment dans la région de Dera’a. Toutefois, jusqu’à présent, en dehors de quelques zones, les rebelles n’arrivent pas à consolider leurs positions de manière définitive, faute d’unité et de chaine de commandement commun. Les poches de résistance armée et les fronts se multipliant, le territoire syrien se trouve fragmenté entre les positions fluctuantes des différents protagonistes.

 

D’autant plus que les nombreuses exactions (corruption, vols, pillages de convois humanitaires onusiens) de groupes labellisés ASL ont désolidarisé de nombreuses populations vivant dans les zones passés sous contrôle rebelle, notamment dans le nord de la Syrie.[14]

Dans ce contexte, pour survivre, depuis 2012, les plus petites factions dispersées se regroupent au sein de larges alliances militaires autonomes à tendances idéologiques salafistes, mieux organisées et financées. Toutefois, elles conservent leur loyauté à l’égard de leur leader. Certains groupes se sont retirés de l’ASL, assumant au grand jour leur affiliation idéologique et militaire avec des fronts islamistes salafistes tels que le Front de Libération pour la Syrie (créé en septembre 2012) et le Front Islamique Syrien (créé en décembre 2012). Idéologiquement, ces derniers rejettent toute alliance avec l’occident mais dans les faits, pragmatiques, ils mènent des actions coordonnées avec l’ensemble des factions armées.Bénéficiant d’un ancrage local, ces alliances salafistes revendiquent un Etat islamique dans le cadre des frontières nationales de la Syrie tout en inscrivant leur action dans la lutte régionale contre les chiites.[15]

 

La montée en puissance de ces groupes salafistes qui éprouvent du ressentiment à l’égard des élites et les classes moyennes urbaines pose un sérieux problème pour la conquête territoriale des centres urbains par l’opposition. D’autant plus que le territoire syrien qui servit de transit à partir de 2004 aux djihadistes en partance pour l’Irak afin de combattre les forces américaines et leurs alliés est désormais devenu la destination principale de ces combattants à l’idéologie transnationale. Ils sont originaires d’Irak, de Jordanie, des pays du Golfe, du Maghreb mais aussi d’Europe. Bien qu’ils demeurent minoritaires sur l’ensemble du territoire syrien, les djihadistes se sont renforcés à partir de l’été 2012. Ils ont profité de la présence de zones échappant au contrôle du régime syrien, dans le nord et le nord-est du pays et du désespoir des groupes d’opposants faiblement armés face à une répression toujours plus brutale, le régime n’hésitant plus à procéder à des bombardements aériens massifs des zones civiles. Le Front Jabhat al-Nusra est le groupe djihadiste le plus médiatisé, notamment depuis l’annonce le 9 avril 2013 par Abou Bakr al-Baghdadi, chef de la branche irakienne d’Al-Qaïda, du rattachement du Front à son organisation, désormais nommée « État islamique en Irak et au Levant [16] ».  Le lendemain, le dirigeant du Front réfuta cette allégation tout en faisant officiellement allégeance à Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda.[17]

Dans certaines zones de combat, des alliances conjoncturelles entre les brigades djihadistes indépendantes et des milices locales (souvent tribales) sont apparues mais certaines ont déjà volé en éclat, notamment dans les régions du nord-est et de Deir-Ez-Zor, où les djihadistes se sont disputés le contrôle des zones pétrolifères avec des milices locales (tribales).[18] Les modes opératoires des djihadistes (les attentats à la bombe contre des civils, les liquidations, les destructions de maisons), l’agenda politique (Califat islamique) et l’application rigoriste de la loi islamique sont rejetés par nombre de Syriens, y compris des sunnites conservateurs.L’enjeu kurde renforce aussi la fragmentation territoriale de la Syrie.
Afin d’affaiblir les insurgés arabes et leur parrain turc, dès juillet 2012, l’armée syrienne s’est retirée de certaines villes du nord-est de la Syrie[19] au profit du PYD kurde (Parti Union démocratique, la branche syrienne du PKK[20]), adversaire du CNS et de l’ASL et à l’agenda nationaliste kurde. Depuis, de violents affrontements ont eu lieu entre les factions kurdes et arabes dans la région.

 

4/ Rivalités d’influence régionaleet frilosité des Occidentaux :

 

Le régime de Bashar al-Assad joue largement de ce phénomène de radicalisation renforcé par l’ingérence de certains Etats régionaux rivaux (Qatar, Turquie, Arabie saoudite) qui parrainent les différents groupes d’opposition. Le rapport de force qui se joue entre les islamistes « modérés », les salafistes syriens pragmatiques qui adoptent un discours manichéen pour attirer des donateurs religieux du Golfe, et les salafistes djihadistes est le résultat de cette rivalité d’influence régionale sunnite dans laquelle les Syriens ne bénéficient d’aucune indépendance tactique.

Pour l’heure, la fragmentation de l’opposition a rendu problématique l’intervention des puissances occidentales. Depuis le début du soulèvement syrien, il n’existe pas de consensus au sein des Occidentaux quant à l’attitude à adopter à l’égard du régime et de l’opposition syrienne. Tous redoutent les conséquences de l’enlisement du conflit qui bénéficie aux extrémistes de chaque camp. La question du sort du régime et des moyens à mettre en œuvre est loin d’être tranchée.

Le choix des modalités d’intervention divise les partisans du changement de régime à Damas. Une intervention militaire directe (bombardements aériens ciblés, création de zones tampons, envoi d’une armée internationale de maintien de la paix) est-elle plus appropriée que des actions indirectes (soutien financier, entraînements militaires, armement non létal ou létal des opposants) ? Cela soulève des questions transversales jusqu’à présent non résolues. Qui armer, comment s’assurer de l’identité, de la fiabilité des partenaires locaux et comment contrôler la destination des armes ?

 

Malgré ce contexte chaotique, tout laisse à penser que les Etats-Unis n’ont nullement l’intention de se lancer physiquement dans un nouveau bourbier oriental. Sur le plan interne, compte tenu du déficit budgétaire colossal et de l’énorme crise économique domestique, la population américaine ne veut pas entendre parler d’une nouvelle offensive militaire à l’étranger. Les Etats-Unis ne sont pas encore sortis d’Afghanistan et ils n’entendent pas renouveler l’expérience irakienne avec la destruction de l’Etat ba’thiste et la purge des sunnites qui se radicalisèrent par la suite. Or la radicalisation sectaire des milices sunnites renforce au niveau régional l’alliance du régime syrien avec les chiites d’Iran, du Liban et d’Irak. La majorité des combattants opposants sont sunnites, de même que la majorité des réfugiés dans les camps dans les Etats voisins, alors que les soutiens militaires au régime sont d’origine alaouite ou chiite. Les risques de nettoyage ethnique se trouvent aujourd’hui dans les zones mixtes, sur les lignes de clivage communautaire.

 

Dès lors, l’enjeu actuel est d’obtenir un consensus suffisant entre les différentes oppositions intérieures et extérieures afin de neutraliser les factions les plus radicales (soit par l’intégration, soit par leur mise à l’écart) et asseoir une autorité hiérarchique modérée. De nombreuses tentatives en ce sens ont vu le jour. Le Conseil Supérieur Militaire Conjoint (CSMC) a ainsi été créé le 7 décembre 2012, dans la foulée de la formation de la Coalition nationale syrienne et après une réunion de 260 chefs rebelles à Antalya. Le CSMC a pour objectif principal le monopole de la livraison des armes aux rebelles et de l’acheminement de l’aide pour les populations civiles. Sur le terrain, il est très difficile de créer une force organisée et bien armée capable de concurrencer les salafistes qui constituent les factions armées les plus puissantes. L’absence de transparence des réseaux de donateurs et la poursuite de financements parallèles rend le processus d’unification et de contrôle de la livraison d’armes très problématiques.[21] Pour ne pas être affaibli davantage et limiter les risques de concurrence, le CSMC s’est vu dans l’obligation d’intégrer ou de collaborer avec les factions salafistes syriennes[22], bien qu’elles soient proches idéologiquement du Front al-Nosra que l’ASL refuse d’intégrer en raisons des réticences occidentales. Les passerelles sont néanmoins nombreuses. Pour l’heure, le CSMC est davantage une plateforme de coordination qu’un commandement centralisé.

 

Conclusion :

 

Jusqu’à présent, les oppositions en exil et sur le terrain sont traversées par de nombreux clivages qui empêchent l’émergence d’un leadership politique unique. Un des moyens pour commencer à fédérer l’ensemble des factions armées est d’établir une unique source de financement qui passerait par le canal de la Coalition nationale ou de Salim Idriss (chef de l’Etat-major du CSMC). Pour cela, les Etats-Unis et la Russie doivent s’investir davantage et faire pression sur les soutiens étatiques régionaux de l’opposition et du régime syriens afin qu’ils surmontent leurs rivalités. La militarisation ne peut constituer la réponse à un conflit devenu communautaire et qui se régionalise progressivement. Seule une solution politique prenant en compte l’ensemble des protagonistes nationaux et internationaux, y compris l’Iran, devrait pouvoir mettre un terme à l’effusion de sang qui nourrit la haine. Pendant ce temps, des gens meurent.

 

 


[1] La campagne de la région nord-ouest-centre est aux mains des insurgés qui consolident leurs positions, forts d’un continium territorial de Homs jusqu’à la frontière turque avec des poches de résistances pro-régime. Au niveau de Damas, les ceintures de misère sunnites sont aux mains des rebelles (à l’est et au sud), seuls les quartiers informels peuplés de minoritaires demeurent sous le contrôle du régime ainsi que le centre-ville.

[2]La branche syrienne des Frères musulmans fut créée en 1946 par Mustafa al-Sibaï.

[3] Aron LUND, « Struggling to Adapt : The Muslim Brotherhood in a New Syria”, in Syria Comment, le 7 mai 2013.

[4] Signataires : des coalitions de gauche, des nationalistes arabes,  des libéraux, des partis kurdes, des indépendants, Riad Seif et les Frères Musulmans en exil.

[5] Wael SAWAH, « Syrian Civil Society Scene prior to Syrian Revolution”, Working Paper n°21, Knowledge Programme Civil society in West Asia, University of Amsterdam, octobre 2012.

[6] Fabrice BALANCHE, « L’habitat illégal dans l’agglomération de Damas et les carences de l’Etat », in Revue Géographique de l’Est, vol. 49 / 4 | 2009.

[7] Encouragés par les chaines satellitaires islamiques et financés par des donateurs privés du Golfe ou des migrants syriens travaillant dans les pays du Golfe.

[8]Notons que dans les zones rurales défavorisées à majorité confessionnelle non sunnite, on n’observa pas ou peu de soulèvement, le facteur communautaire ayant visiblement primé sur les facteurs socio-économiques dès 2011.

[9] Yezid SAYIGH, « The Syrian Opposition’s Leadership Problem », in Carnegieendowment for International Peace, le 3 avril 2013.

[10] La coalition fut élargie en mai 2013 au profit des libéraux de Michel Kilo et de l’Etat-major de l’Armée syrienne libre.

[11] Le retrait de la Commission générale de la révolution syrienne (CGRS) de la Coalition nationale syrienne annoncée le 3 juin 2013 est un exemple de la déconnexion croissante entre l’opposition interne et l’opposition en exil. La CGRS reproche à la coalition son inefficacité, sa corruption et de ne pas suffisamment représenter les forces internes. « L’opposition syrienne commence à se désagréger », in L’Humanité, le 3 juin 2013.

[12] A. LUND, « The Free Syrian Army Doesn’t Exist », in Syria Comment, le 16 mars 2013.

[13]Abigail FIELDING-SMITH, “Fractured Syrian rebels scour for cash as funders dry up” in Financial Times, le 2 mai 2013

[14] Michel STORS, « Syrian Rebels Accused Of Terrorizing Population As Kidnappings, Torture Are Rampant », in Huffington Post, le 30 avril 2013

[15] Aron LUND, « Syria’s Salafi Insurgents. The rise of the Syrian Islamic Front”, in The Swedish Institute of International Affairs, le 28 février 2013, Suède.

[16] « Al-Qaïda en Irak revendique la paternité d’un groupe de djihadistes anti-Assad », in France 24, le 9 avril 2013.

[17] Le Front a la réputation d’identifier les besoins urgents des populations passant sous son contrôle, et d’y répondre, d’où son attrait sur de nombreux combattants civils. Yezid SAYIGH, « The Syrian Opposition’s Leadership Problem », in Carnegieendowment for International Peace, le 3 avril 2013.

[18] « Syrians take up backyard refining of crude oil », in Daily Star Lebanon, le 18 avril 2013.

[19] Aux frontières du Kurdistan irakien et des zones kurdes de Turquie.

[20] J. MARCUS, “Will Syria’s Kurds benefit from the crisis?”, in BBC, 10 août 2012.

[21] David ENDERS, “Syrian rebel leader Salim Idriss admits diffculty of unifying fighters”, in McClatchy Foreign Staff, le 7 mai 2013.

[22] Elizabeth O’BAGY, « The Free Syrian Army », in Middle East Security Report 9, www.understandingwar.org, mars 2013.

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RFI, Les chrétiens de Syrie, 20 juillet 2013

Comment se sentent aujourd’hui les chrétiens de Syrie ?
Damas, 3 avril 2011.

Damas, 3 avril 2011.

AFP/ANWAR AMRO
Par Eric Bataillon

Cette minorité d’environ un million de personnes (principalement orthodoxes, mais aussi grecs catholiques) ont toujours été protégées par les gouvernements de Hafez, puis Bachar El-Assad. Une minorité qui se sent menacée et qui tente de resserrer les rangs, parfois en se regroupant dans des vallées historiquement chrétiennes, comme la vallée de Wadi Al-Nassara, à mi-chemin entre Homs et la mer. Une minorité qui, paradoxalement, se retrouve protégée dans certaines régions par les milices du Hezbollah libanais, car ces dernières combattent aux côtés de l’armée syrienne. Isabelle Feuerstoss, docteur en Géopolitique, spécialiste de la Syrie, a enquêté longuement sur la situation des chrétiens de Syrie. Elle nous aidera à mieux la comprendre.

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Moaz al-Khatib, président démissionnaire de la coalition nationale, critique la décision de l’UE d’acheter du pétrole syrien à l’opposition. Syria-News

الخطيب ينتقد قرار الإتحاد الأوروبي بشراء النفط السوري من المعارضة
الاخبار المحلية

انتقد رئيس « الإئتلاف الوطني » المستقيل أحمد معاذ الخطيب، يوم الثلاثاء القرار الأوربي « بتخفيف الحظر المفروض على قطاع النفط في سوريا ».

وقال الخطيب, في تعليق على صفحته على موقع التواصل الاجتماعي (الفيسبوك) « هل يتعامل الاتحاد الأوربي مع عصابات؟، كيف يمكن للثروات الوطنية أن تُباع من قِبل فريق معروف إلى فريق مجهول؟ »، متسائلا « من هي الجهة السياسية أو التنفيذية التي ستوقع على صك بيع النفط السوري وتُشارك في نهب ثروات سوريا ».

وكان الاتحاد الأوروبي تبنى الاثنين قرارا سمح بموجبه لدوله الأعضاء بإجراء تعاملات في استيراد النفط والمشتقات النفطية وتصدير التجهيزات الأساسية والتقنيات لصناعة النفط والغاز والاستثمار في صناعة النفط في سورية، بهدف دعم المعارضة، على أن يتم التعامل مع « الائتلاف الوطني السوري لقوى المعارضة والثورة ».

وجاء كلام الخطيب عقب أيام على تجديد استقالته من رئاسة الائتلاف.

واعتبرت الحكومة السورية قرار الاتحاد الاوروبي بانه يرقى الى صفة العداون على سورية, مشيرة الى انها لن تسمح لأي جهة في العالم بسرقة ثروات سورية ومواردها الطبيعية والمتاجرة بها بهدف تأمين السلاح والمال للمجموعات الإرهابية المسلحة.

ودخلت الأزمة السورية عامها الثالث، وسط احتدام المواجهات والعمليات العسكرية بين الجيش ومسلحين معارضين، في وقت قدرت تقارير أممية عدد الضحايا منذ بدء الأزمة بنحو 70 ألف شخص، في حين اضطر ما يزيد عن مليون شخص للنزوح خارج البلاد هربا من العنف الدائر في مناطقهم.

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Quel avenir pour la Coalition nationale syrienne?

Tribune dans le Figaro, le 5/3/2013

TRIBUNE – Pour Isabelle Feuerstoss, chercheuse associée à l’Institut  français de géopolitique, la personnalité du président  de la Coalition permet d’envisager une évolution moins radicale des revendications  de l’opposition au régime de Bachar el-Assad.

La proposition du président de la Coalition nationale Syrienne, Moaz al-Khatib, de tendre la main aux membres du régime n’ayant pas de sang sur les mains, révèle les tractations qui s’exercent en coulisse entre les Occidentaux, les Russes et les Iraniens. La crainte de l’exportation du chaos semble avoir raison de la détermination occidentale de se débarrasser du régime de Damas. Le spectre de la déferlante djihadiste vers les territoires russes et européens agit comme un repoussoir. Seule une personnalité comme Moaz al-Khatib peut tenter de préparer le terrain à une évolution moins radicale des revendications de l’opposition syrienne. A l’intérieur du pays, al-Khatib suscite de l’espoir auprès de nombreux Sunnites urbains (dans les régions rurales, il était jusqu’à sa nomination à la tête de la Coalition nationale syrienne, totalement inconnu). Surtout, il ne s’agit pas d’un opposant de façade, mais d’un résistant de longue date. Pendant des années, il a refusé de se soumettre au contrôle de ses prêches au point d’être interdit de prêcher en 1996. Sunnite, descendant d’une lignée de prêcheurs damascènes au sein de la mosquée des Omeyyades de Damas, il connaît bien le jeu politique local. Et, alors que la corruption est endémique, il est perçu comme honnête. La Syrie est une société patriarcale. Les origines familiales, claniques voire tribales priment sur les qualités individuelles. Les origines et le parcours de Moaz al-Khatib rassurent une partie de la population, en perte de repères après plus de deux ans de conflit. Nombreux sont ceux qui veulent croire en ses qualités de rassembleur. Un des buts de la proposition de Moaz al-Khatib est de créer des dissensions internes parmi les soutiens de Bashar. Plusieurs généraux alaouites influents au sein de la communauté pourraient changer la donne. Mais ils ont du sang sur les mains. Il est donc peu probable qu’ils lâchent Bashar, d’autant plus qu’ils sont sur la liste noire des Américains et de l’Union européenne. Les militaires qui conseillent Bashar étaient en poste dans les années 1980, à l’époque où le rapport de forces entre l’occident (dont la France et les Etats-Unis aux premiers rangs) et le régime syrien (déjà fort du soutien iranien) a dégénéré : attentats contre les intérêts français et américains au Liban puis en France, prises d’otages…La logique jusqu’au-boutiste syrienne et la stratégie du terrorisme international d’origine moyen-orientale déployée avec Téhéran finirent par payer. Or la vieille garde syrienne a toujours cette tactique en tête : inscrire les rapports de forces dans la durée et résister jusqu’à ce que le contexte international évolue favorablement. Sur le plan interne, le régime tente de résister avec le soutien d’une partie de la population. Il joue de la loyauté communautaire, servi en cela par la radicalisation des discours des groupes islamistes, elle-même résultant de la violence de la répression. Aussi, la rhétorique « c’est eux ou nous » n’a-t-elle jamais aussi bien fonctionné : eux, les islamistes intégristes qui veulent instituer un califat ou nous, les laïcs, protecteurs des minoritaires et des sunnites séculiers. Depuis le début du soulèvement, le régime pratique la stratégie de la terreur, aggravant l’insécurité et le chaos, afin de faire regretter à une partie de la population l’ « ancien régime » où la stabilité politique et la sécurité étaient garanties. Incapable de reprendre le contrôle de tout le territoire, le régime syrien  a choisi d’en aggraver la fragmentation (au niveau national, grandes métropoles contre le reste du territoire) afin de diviser l’opposition armée, chaque groupe cherchant à garder le contrôle de son territoire au détriment d’une stratégie commune. L’armée syrienne ne peut plus mener d’opérations d’envergure nationale. Désormais, ce sont ses milices locales qui mènent des actions violentes (assassinats, pillages, etc.) En revanche, il est impératif pour le régime de garder le contrôle des grands centres urbains dont Damas. Dans un contexte de guérilla urbaine, le régime de Bashar cherche à sécuriser les centres-villes et les quartiers qui lui sont favorables (souvent homogènes sur les plans confessionnel ou socioprofessionnel). Pour y parvenir, il n’hésite pas à déloger, à coups de bombardements et de massacre les populations sunnites des quartiers informels (illégaux), ou celles des faubourgs surpeuplés et incontrôlables, très hostiles au régime, à l’instar de Douma ou de Daraya. Elargir les conditions de négociations avec le régime est le seul moyen de faire avancer les choses. Néanmoins, vu les rapports de forces actuels, il est illusoire de croire que le régime va tomber prochainement. Dans certaines régions, certains groupes armés d’opposition paraissent à bien des Syriens aussi barbares que le régime. Il est par conséquent essentiel que l’image de la révolution aux buts si légitimes ne se dégrade pas trop, aussi bien en Syrie qu’auprès des opinions publiques internationales.
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Café géographique d’Albi: « Syrie : du soulèvement pacifique à la guerre civile ? »

Café Géo animé par Isabelle FEUERSTOSS, Post-doctorante en géopolitique à l’Institut Français de Géopolitique, Université Paris 8.

Ce Café Géo a eu lieu le mardi 11 décembre 2012 au Pré en Bulle – 9 Lices Jean Moulin, Albi à partir de 18h30.

Présentation problématique :

Le soulèvement qui a débuté en Syrie en mars 2011 est souvent interprété comme un effet domino du “printemps arabe”. L’impact des soulèvements tunisien, égyptien, libyen et yéménite relayés, entre autres, par Al-Jazeera, sur la détermination des Syriens est indiscutable.

Pour autant, malgré la similitude de certains paramètres (chômage endémique, corruption) et revendications (démocratie, dignité), on ne saurait limiter l’analyse de la crise syrienne à un simple effet de contagion. Par son ampleur et ses modalités d’action, elle s’avère inédite. Sur le terrain, la situation ne cesse de s’aggraver. Progressivement, le soulèvement pacifique mené au nom des principes de démocratie, de liberté et de dignité a basculé en guerre civile.

Le repli des différentes communautés composant la mosaïque syrienne est patent. Les ressentiments intercommunautaires qui avaient été refoulés pendant des décennies ont fini par ressurgir. La violence, les milliers de morts (40 000 selon l’ONU mais en réalité, certainement plus) et les destructions d’infrastructures, entrainent progressivement la déstructuration des cellules familiales, à l’instar de ce qui s’est produit en Irak à partir de 2003.

Comment en est-on arrivé là ? Quelles sont désormais les perspectives de sorties de crises ?

Compte-rendu réalisé à partir des notes d’Isabelle FEUERSTOSS par Thibault COURCELLE

 

Éléments de la présentation

 

Isabelle FEUERSTOSS a soutenu sa thèse portant sur les « Enjeux géopolitiques des relations entre la France et la Syrie » en avril 2011. Elle était sur le terrain syrien du début du soulèvement pacifiste syrien jusqu’à son tournant militaire début 2012. A ce titre, elle a pu observer directement l’évolution de certains modes de mobilisations et de revendications. Elle insiste sur le fait que sa présentation n’a aucune prétention exhaustive. Premièrement, nous ne disposons pas de recul sur les dynamiques en présence. En outre, les informations qui nous arrivent sont souvent bien imprécises et invérifiables. D’autant plus que la désinformation médiatique caractérise le conflit syrien. En effet, les parties en présence ont compris dès mars 2011 l’enjeu de l’information comme véritable arme de guerre, et de mobilisation des opinions publiques.

I – Etat des lieux :

On le sait, sur le terrain, la situation ne cesse de s’aggraver. Depuis mars 2011, on compte plus de 40 000 Syriens morts et ce chiffre est en constante et rapide augmentation depuis quelques mois. La violence de la répression du régime et des combats fratricides, les milliers de morts et les destructions d’infrastructures, entraînent progressivement la déstructuration de nombreuses cellules familiales.

Avec la multiplication des défections, la perte de motivation des soldats, les attentats à la voiture piégée au coeur des grandes agglomérations, contre les locaux des services de sécurité ou contre les populations pro-Assad, les enlèvements et assassinats d’officiers et de partisans du régime, et surtout des Alaouites, etc.). Le régime syrien a perdu le contrôle de nombreux pans du territoire national, notamment au nord et nord-est. D’importantes bases aériennes militaires (la dernière en date, la base du 46e régiment près d’Alep, le 18/11) et la plupart des passages frontaliers du nord et nord est sont aux mains des groupes armés de l’opposition. Incapable de reprendre le contrôle de tout le territoire, le régime syrien a choisi d’en aggraver la fragmentation (au niveau national, métropoles contre le reste du territoire, au niveau urbain, quartiers contre quartiers) afin de diviser l’opposition armée, chaque groupe cherchant à garder le contrôle de son territoire au détriment d’une stratégie commune. Par contre, l’armée syrienne n’est plus en mesure de mener des opérations d’envergure nationale. Désormais, ce sont ses milices locales qui mènent des actions violentes (assassinats, pillages, corruption, viols, etc.). Le pays est aux mains des milices et de leurs seigneurs de guerre qui disposent pour la plupart d’un ancrage local rural.

Au sein des rangs de l’opposition, l’horizon demeure préoccupant, avec de très nombreuses rivalités qui la minent aussi bien à l’étranger (la plupart des opposants en exil souffrent d’un manque de crédibilité flagrant sur le terrain) qu’à l’intérieur des frontières de la Syrie. On observe un rapport de force entre islamistes et laïcs, mais au sein même des islamistes, il existe également d’importantes rivalités de pouvoir. En effet, on sait que l’islam politique est loin de constituer un bloc monolithique. Ainsi, il existe de nombreuses nuances quant aux modalités et aux revendications politiques des différentes factions islamistes sur le terrain, notamment à l’égard de la nature de l’Etat syrien de demain et de son rapport aux minorités confessionnelles.

A l’étranger, la Coalition nationale syrienne échoue jusqu’à présent à arriver à un accord pour former un gouvernement transitoire et peine à regrouper sous sa coupe les forces sur le terrain qui sont indépendantes. Sur le terrain, l’Armée syrienne libre (ASL), composée majoritairement de déserteurs de l’armée régulière syrienne, essaye tant bien que de mal de regrouper un maximum de groupes armés sous sa direction mais elle cède de plus en plus du terrain. En effet, faute d’armements suffisants, et de discipline, elle perd sa légitimité auprès de certains pans entiers de la population, notamment dans le nord de la Syrie (nombreuses exactions, vols, corruption, etc.)

D’autres alliances militaires regroupant des factions de tendance islamiste plus radicale émergent progressivement depuis un an, rendant le paysage de l’opposition armée sur le terrain encore plus confus. La Syrie est devenue une passoire, les flux internes/externes se sont renversés. Les groupuscules djihadistes (regroupant des combattants étrangers mus par l’idéologie du Djihad, la Guerre sainte) demeurent néanmoins minoritaires. Ils se positionnent contre l’ASL (bien que des passerelles existent entre certains groupes) et contre le régime syrien. La plupart se réclament du plus connu et du plus influent Front, le Jabhat al-Nusra. Ce dernier regrouperait près de 3000 combattants. Ce front bénéficie d’une excellente réputation de combattants bien entrainés et disciplinés, ce qui attire dans ses rangs des milices autochtones et des rebelles mal armés, sans argent et frustrés.

Comment en est-on arrivé là ?

Portée et enjeux des clivages sociaux, régionaux et communautaires

La répression massive du régime syrien et l’internationalisation de la crise ont indubitablement contribué à transformer progressivement le soulèvement (caractérisé dans un premier temps par le pacifisme des manifestants et l’aspect séculier des revendications démocratiques) en une guerre civile à connotation sectaire. Mais ces paramètres n’expliquent pas tout. D’autres déterminants étaient présents depuis longtemps, refoulés. Ils ont été facilement réactivés pour plusieurs raisons.

Bien que la société syrienne soit majoritairement sunnite à plus de 70 %, elle est caractérisée par l’enchevêtrement de multiples appartenances identitaires (hétérogénéité confessionnelle et ethnique, régionalisme, clivages socio-professionnels). Ainsi, en mars 2011, en dépit des revendications à connotation largement politique (renvoyant, entre autres, à la corruption endémique et à l’absence de libertés civiles), ce sont bien les disparités économiques qui se sont retrouvées au coeur du mouvement de contestation pacifique. Pour s’en assurer, il suffit de recontextualiser l’irruption du mouvement de contestation puis d’observer la géographie des manifestations et l’appartenance sociale des manifestants. D’emblée, on remarque le caractère provincial du mouvement de contestation et pendant de longs mois, sa circonscription dans l’espace.

II – Un mouvement parti des bastions sunnites traditionnels du Ba’th :

Le mouvement est d’abord parti des villages, des bourgs provinciaux, des banlieues ou des quartiers périphériques des grandes agglomérations syriennes (conséquence directe de l’exode rural). En mars 2011, la plupart des manifestants n’étaient autre que les héritiers des paysans exploités et des petites bourgeoisies provinciales sunnites, méprisées et isolées de l’exercice du pouvoir par un cercle restreint de grandes familles urbaines sunnites. Attirés par l’idéologie ba’athiste dont le socle repose en partie sur le concept de socialisme arabe, ils gonflèrent les rangs du parti et le portèrent au pouvoir par le coup d’Etat du 8 mai 1963. Après avoir été la priorité de l’action étatique (arrivée de l’électricité dans toutes les campagnes, ouverture de nombreux centres de santé, coopératives agricoles, écoles pour tous), les agriculteurs, pourtant pilier du projet de modernisation du Ba’th dans les années 1970-1980, ont été progressivement délaissés.

Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène : les crises économiques, baisse des subventions étatiques, la captation des richesses de l’Etat par une bourgeoisie parasite, etc. Ce processus de délaissement a débuté dans les années 1990 mais il s’est accéléré sous l’ère de Bashar al-Assad à partir de 2000. Les inégalités de la répartition des richesses se sont fortement accrues depuis 7-8 ans et sont devenues géographiquement de plus en plus visibles (les grandes agglomérations Damas et Alep versus le reste du territoire syrien).

La situation était déjà mauvaise il y a 10 ans :

La politique de libéralisation économique a été amorcée dans les années 1990 mais elle a été renforcée après 2005, suite au retrait des troupes syriennes et des milliers d’ouvriers syriens du Liban à la suite de l’assassinat de Rafic Hariri. La Syrie a perdu son « poumon économique » libanais et le marché syrien a dû absorber ces ouvriers alors qu’il était déjà en saturation (fin de la rente des monarchies pétrolières, chute de l’exploitation du pétrole, fin de la perception des redevances liées au transit du pétrole irakien, parc industriel vétuste, peu d’investissements privés, etc.) En outre, depuis 2006, 4 sécheresses très éprouvantes ont accéléré la paupérisation des campagnes (nord est et sud syriens) et l’exode rural. Les nouveaux venus s’entassent dans les quartiers périphériques urbains (souvent informels) qui forment une ceinture de misère autour des grandes agglomérations (Damas, Alep, Homs, etc.) Le marché du travail ne peut pas amortir l’arrivée de milliers de jeunes diplômés chaque année, d’autant plus que la transition démographique n’est pas aboutie en Syrie (notamment dans les classes populaires sunnites rurales du nord mais pas exclusivement, alors que les minoritaires, aux premiers rangs desquels les Alaouites et les Druzes ont des comportements proche de ceux des Européens).

Ironie de l’histoire, désormais, ce sont principalement les classes moyennes urbaines (peu nombreuses) et la bourgeoisie sunnite de Damas et d’Alep, contre lesquelles s’était développée la révolution ba’thiste de 1963, qui soutiennent plus ou moins ouvertement le régime ou tout du moins adoptent une posture de neutralité car ils ont été favorisés par le libéralisme économique. Les centres urbains de Damas et Alep se sont enrichis au détriment des banlieues et des provinces et campagnes. Ils ont beaucoup à perdre de l’instabilité politique et surtout, beaucoup d’entre eux voient d’un très mauvais œil que les « paysans », qu’ils perçoivent comme des êtres ignares et rudimentaires, prennent le pouvoir. D’ailleurs, tant qu’Alep et Damas n’ont pas été touchés, certains des commerçants et entrepreneurs se sont enrichis, notamment au niveau du marché intérieur (en raison de l’embargo) et dans l’import-export avec l’Irak.

III – Les clivages régionaux/communautaires.

Manifestement, on se retrouve dans un contexte proche de celui de 1963, un remake de la « revanche des campagnes contre la ville ». A ce titre, Alep constitue un cas d’école. Les insurgés sont très majoritairement issus de la périphérie urbaine ou des campagnes environnantes. Cela explique qu’ils aient mis tant de temps avant d’être véritablement opérationnel, faute de maîtriser la géographie urbaine d’Alep. La plupart des citadins qui en avaient les moyens sont partis se réfugier en Turquie. Les moins chanceux sont partis se réfugier dans d’autres villes, ou des quartiers moins touchés par les violences.

On retrouve le même cas de figure à Damas. Jusqu’à aujourd’hui, de nombreux commerçants sunnites refusent de soutenir les rebelles armés, dans leur grande majorité originaires des autres gouvernorats de Syrie ou des campagnes environnantes. A ce stade de l’analyse, il convient de préciser que les lignes de clivages sociaux se superposent bien souvent avec celles des clivages communautaires. Bien qu’on compte également de nombreux Alaouites pauvres, les Sunnites (plus de 75% de la population) constituent l’immense majorité des classes prolétaires.

En mars 2011, la première (grosse) étincelle est partie de Deraa, bourgade provinciale du sud de la Syrie en proie à de graves problèmes d’eau (irrigation). Face à l’urgence de casser la dynamique de mécontentement populaire, le pouvoir déploya une double stratégie basée sur la terreur (répression et insécurité) et la réactivation des représentations de peur des communautés minoritaires, autre pilier traditionnel du Ba’ath.

Réactivation des représentations de peur des minoritaires.

Sur le plan interne, le régime tente de résister avec le soutien d’une partie de la population. Il joue de plus en plus de la loyauté communautaire, servi en cela par la radicalisation des discours des groupes islamistes, elle-même résultant de la violence de la répression. Aussi, la rhétorique « c’est eux ou nous » n’a-t-elle jamais aussi bien fonctionné : eux, les islamistes intégristes qui veulent instituer un califat et imposer la charia ou nous, les laïcs, protecteurs des minoritaires et des sunnites séculiers.

Ce processus de repli communautaire est alimenté par la réactivation de représentations historiques, parfois refoulées pendant des décennies et désormais instrumentalisées par le régime. La peur des minorités de devoir affronter un Islam sunnite revanchard et intolérant est alimentée par la permanence des tensions régionales (guerre civile au Liban (1975-1990), attaques contre des Coptes en Egypte, etc.). La présence en Syrie de milliers de réfugiés irakiens chrétiens ayant fui la guerre civile en 2005 contribue largement à alimenter cette peur. Dans les représentations de nombreuses élites chrétiennes et surtout catholiques (les moins nombreux mais historiquement les plus liés aux élites occidentales), la coexistence qui prévalait jusqu’à présent en Syrie était principalement due à la nature communautaire du régime al-Assad, « rempart » contre la domination de l’Islam politique.

La domination des Frères Musulmans ainsi que d’autres tendances dites « islamistes modérées » au sein du Conseil National Syrien (CNS) et de la Coalition syrienne inquiète. Cette méfiance est exacerbée par le rôle que l’Arabie saoudite (dont l’influence régionale ne cesse de s’accroître depuis les soulèvements arabes) et le Qatar – monarchies non démocratiques, championnes du wahhabisme et adversaires du régime syrien et de l’Iran – joue dans le soutien logistique et l’armement de l’opposition, très majoritairement sunnite.

Les Alaouites (mais aussi les Kurdes, les Chrétiens, les Arméniens, etc.) :

Toutefois, c’est bien la communauté alaouite dans son ensemble qui est visée par la remise en cause de la légitimité de la nature communautaire du pouvoir actuel. Cette appartenance identitaire a toujours été considérée comme hérétique par les Sunnites et donc le pouvoir n’a jamais eu de légitimité à leurs yeux ce qui les a forcés à utiliser les ressorts du clientélisme politique pour se maintenir. Issus d’une communauté chiite hétérodoxe montagnarde honnie et persécutée pendant des siècles par les Sunnites, les Alaouites qui constituent aux alentours de 15% de la population bénéficièrent de l’action mandataire qui les éduqua et leur permit d’accéder aux hautes fonctions militaires (méprisées par les grandes familles urbaines sunnites).

A la fin des années 1970, sur fond de grave crise économique, un mouvement de contestation populaire violent dirigé par la branche syrienne des Frères musulmans gagna l’ensemble des centres urbains du pays. Une vague d’attentats cibla des Alaouites de 1979 à 1982 (militaires, politiques, civils) et se solda par une répression sanglante symbolisée par les massacres de civils à Hama en février 1982. Cette période réactiva les représentations de peur existentielle de la communauté alaouite, ce qui eut pour conséquence le renforcement de son emprise à tous les niveaux du pouvoir.

Toutefois, au printemps 2011, le régime dut faire face à l’absence de mobilisation de la part de certains de ses coreligionnaires (dignitaires, officiers et intellectuels alaouites) qui témoignaient des sympathies à l’égard des revendications des manifestants pacifiques. Face à l’urgence de se rallier des soutiens, le régime a renforcé la loyauté des Alaouites en réactivant la mémoire collective des années 1970-1980. Au cours de l’été 2011, il alla jusqu’à tuer des soldats et officiers alaouites pour déclencher les vieux réflexes minoritaires.

Les violentes diatribes de cheikhs (syriens ou pas) relayés par les chaînes satellitaires du Golfe n’ont fait que renforcer cette représentation qu’il s’agit désormais d’une lutte existentielle, crainte encore accrue par le refus de dialoguer des principaux courants de l’opposition auquel s’ajoute celui de la France, l’ancienne puissance mandataire. Depuis la militarisation de groupes d’opposition, voir la djihadisation de certains d’entre eux, et la présence de combattants étrangers, cette représentation n’a jamais été aussi ancrée.

Cela a été longtemps un tabou relayé par la presse française : l’absence de flux d’armes et de combattants étrangers. Or la porosité des frontières syriennes est une très ancienne réalité du terrain que le régime a longtemps instrumentalisé dans ses rapports de force avec ses voisins mais aussi les puissances occidentales (flux de combattants djihadistes en Irak, contrebande d’armes et d’essence avec le Liban, etc.). Dans les discours des responsables syriens, la porosité transfrontalière a toujours été brandie comme une menace pour justifier leur interventionnisme dans les affaires libanaises.

Une des porosités les plus importantes est la « trouée de Homs », forte dépression est-ouest de faible altitude séparant la montagne Ansariyya et le Djebel Zawiyah au nord des montagnes du Mont-Liban au sud, forme l’accès le plus direct reliant la côte libanaise aux villes intérieures syriennes. Cette « entaille » dans le territoire syrien a permis l’afflux de médicaments, de téléphones satellites, de nourriture, et d’armes lors du siège de Homs. Bien que le Liban soit indépendant depuis 1946, les reconfigurations territoriales n’ont pas été intériorisées par les populations frontalières. Les liens commerciaux n’ont jamais cessé et se sont même renforcés dans certaines zones montagneuses.

Toutefois, l’instrumentalisation des clivages communautaires à des fins politiques s’explique aussi et surtout par leur fort ancrage sur le terrain. Depuis des siècles, les marges du territoire syrien (les « montagnes-refuges » et les confins désertiques) ont abrité des groupes minoritaires fuyant les persécutions des Sunnites, majoritaires dans les villes et les plaines centrales. L’important exode rural qui gagna la Syrie dès les années 1970 toucha massivement les minoritaires, dans leur grande majorité, d’origine rurale. Ce phénomène entraîna de profondes reconfigurations socio-économiques des grands centres urbains. Des quartiers entiers marqués par l’homogénéité confessionnelle devinrent mixtes, ce qui provoqua de fortes tensions intercommunautaires, provoquant souvent le départ de familles d’origine citadine (sunnites mais aussi chrétiennes) en direction de quartiers périphériques demeurés plus homogènes.

Regroupement des ruraux par affinités communautaires ou régionales. A Damas :

Les partisans d’Assad vivent plutôt dans les quartiers « intra muros » de Damas, dans des quartiers mixtes centraux, les quartiers traditionnels chrétiens ou au nord et à l’ouest, dans des quartiers informels tolérés par le pouvoir, habités majoritairement de fonctionnaires alaouites pauvres ; mezzeh Djabel, Massaken Berzeh, Doueila. En extra muros, on retrouve des partisans du régime dans le sud, à Sahnaya, Jaramana, etc. Les opposants sunnites vivent essentiellement dans les quartiers populaires extra muros, à l’est, dans les municipalités de la périphérie (Barzé, Qaboun, Harasta, Daraya, etc.)

Dès le mois de mars 2011, le régime s’est appuyé sur l’ancrage territorial des clivages communautaires pour circonscrire la contestation à l’échelle urbaine. La répartition spatiale des espaces mixtes ou des quartiers à majorité minoritaire, généralement pro régime ou neutres, ont longtemps constitué des « coupe-feux » de la propagation du mouvement de contestation avec l’étranglement des ceintures périphériques sunnites urbaines paupérisées ou d’origine rurale.

Désormais, le régime ne cherche plus à récupérer les espaces ruraux contrôlés par les opposants. En revanche, dans sa stratégie, il est impératif de conserver le contrôle des grands centres urbains. Dans un contexte de guérilla urbaine, le régime de Bashar cherche à sécuriser les centres-villes et les quartiers qui lui sont favorables. Pour y parvenir, il n’hésite pas à déloger, à coups de bombardements et de massacre les populations sunnites des quartiers informels (illégaux), ou celles des faubourgs surpeuplés et incontrôlables, très hostiles au régime, à l’instar de Douma ou de Daraya.

La prolongation de la crise et sa transformation en guerre civile a entraîné de nombreux flux migratoires de minoritaires notamment alaouites et chrétiens vers leurs villages d’origine. Il y aurait plus de deux millions de déplacés internes fuyant leurs domiciles en fonction des combats ainsi que plus de 400 000 réfugiés dans les Etats voisins, dans des centres de réfugiés ou dans des hôtels, chez l’habitant, etc.

Enfin, un paramètre fondamental est l’internationalisation du conflit et l’ingérence étrangère multiforme sur la scène interne syrienne.

Perspectives :

La spirale de violence en Syrie semble sans fin. La situation a atteint un tel stade de non-retour qu’une des hypothèses, la moins dramatique en termes de nombre de morts serait que l’actuel vice-président syrien, Farouk al-Chareh, soit désigné par Bachar al-Assad comme son successeur. La nomination de cette personnalité à la tête d’un gouvernement transitoire serait une évolution non négligeable pour les Syriens, puisqu’il est sunnite et originaire de Deraa, d’où est parti le soulèvement syrien. De plus, il est progressiste (gage pour les minoritaires et les non religieux) et surtout, il n’a pas pris part à la répression.

La proposition du président de la Coalition nationale Syrienne, Moaz al-Khatib, en février 2013, de tendre la main aux membres du régime n’ayant pas de sang sur les mains, révèle les tractations qui s’exercent en coulisse, y compris entre les Occidentaux, les Russes et les Iraniens. La crainte de l’exportation du chaos au-delà des frontières syriennes, semble avoir raison de la détermination des acteurs occidentaux de se débarrasser du régime de Damas. Le spectre de la déferlante djihadiste vers les territoires russes et européens agit comme un repoussoir. Seule une personnalité comme Moaz al-Khatib peut tenter de préparer le terrain à une évolution moins radicale des revendications de l’opposition syrienne.

A l’intérieur du pays, al-Khatib suscite de l’espoir auprès de pans entiers de la population sunnite conservatrice urbaine (dans les régions rurales, il était jusqu’à sa nomination à la tête de la Coalition nationale syrienne, totalement inconnu). Surtout, il ne s’agit pas d’un opposant de façade, mais d’un résistant de longue date. Pendant des années, il a refusé de se soumettre au contrôle de ses prêches au point d’être interdit de prêcher en 1996. Sunnite, descendant d’une lignée de prêcheurs damascènes au sein de la mosquée des Omeyyades de Damas, il a l’image d’une personnalité qui connaît bien le jeu politique local. Et, alors que la corruption est endémique, il est perçu comme honnête. La Syrie est une société patriarcale. Les origines familiales, claniques voire tribales priment sur les qualités individuelles. Les origines et le parcours de Moaz al-Khatib rassurent une partie de la population, en perte de repères après plus de deux ans de conflit. Nombreux sont ceux qui veulent croire en ses qualités de rassembleur.

Un des buts de la proposition de Moaz al-Khatib est de créer des dissensions internes parmi les soutiens de Bashar. Plusieurs généraux alaouites influents au sein de la communauté pourraient changer la donne. Mais ils ont du sang sur les mains. Il est donc peu probable qu’ils lâchent Bashar, d’autant plus qu’ils sont sur la liste noire des Américains et de l’Union européenne. Les généraux alaouites qui conseillent Bashar étaient en poste dans les années 1980, à l’époque où le rapport de forces entre l’occident (dont la France et les Etats-Unis aux premiers rangs) et le régime syrien (déjà fort du soutien iranien) a dégénéré : attentats contre les intérêts français et américains au Liban puis en France, prises d’otages… Le régime de Hafez al-Assad sortit vainqueur de ce bras de fer à la fin des années 1980. La logique jusqu’au-boutiste syrienne et la stratégie du terrorisme international d’origine moyen-oriental déployée avec Téhéran finirent par payer.

Or la vieille garde syrienne a toujours cette tactique en tête : inscrire les rapports de forces dans la durée et résister jusqu’à ce que le contexte international évolue favorablement.

Or il est évident qu’il n’y aura pas d’intervention internationale directe et les derniers discours de John Kerry en mars 2013 le confirment. Désormais, l’heure semble au dialogue et au compromis politique, perspectives que l’ensemble des parties rejetaient jusqu’à récemment. Aucune solution ne sera trouvée à l’internationalisation de la crise syrienne sans la prise en compte de l’ensemble des protagonistes, y compris le régime iranien, acteur majeur.

Quoi qu’il advienne, le sang continuera encore longtemps de couler et on peut malheureusement s’attendre à de plus amples destructions à travers le pays. Les différents protagonistes sont prêts à raser Damas et à détruire le patrimoine historique et culturel de la Syrie, à l’instar de ce qui se passe à Alep, plutôt que de céder du territoire à leurs adversaires. Sur ce point-là, les deux camps semblent adopter la même logique. Le territoire importe plus que ce qui se trouve dessus.

 

Éléments du débat :

 

Thibault COURCELLE, (enseignant-chercheur en géographie au Centre universitaire d’Albi) :

Tu as parlé de l’internationalisation du conflit au fur et à mesure de son déroulement, mais quel rôle a joué la dimension régionale – avec les révolutions arabes – sur le déclenchement des troubles en Syrie ? Est-ce que cela résulte d’une sorte d’« effet domino » des révolutions arabes ?

Isabelle FEUERSTOSS :

L’effet domino est évident, notamment avec l’influence médiatique exercée par les chaînes satellitaires arabes au premier rang desquelles Al-jazeera. Il est sûr que ce qui s’est passé en Tunisie, en Egypte et surtout, plus proche, en Libye, a eu une influence considérable. La région de Deraa a fourni de très nombreux fonctionnaires et hauts-fonctionnaires baasistes au régime. Encouragés par les développements régionaux, et forts d’importants soutiens à Damas (aux premiers rangs desquels Farouk al-Shara’), les dignitaires de Daraa se sont indignés de l’affront subit de la part du gouverneur (cf. les enfants ayant écrits des slogans anti-régime). Les faucons de Damas se sont alors inspirés de ce qui s’était passé en Tunisie, en Egypte puis à Kadhafi en Libye pour définir leur stratégie initiale du tout répressif. Stratégie qui a échouée car elle sous-estimait le degré de ressentiment de nombreux pans de la population syrienne face aux injustices et à la corruption du régime. A l’inverse, les opposants soutenus par l’Occident ont également sous-estimait le poids des partisans du régime qui lui sont restés loyaux.

Gérard BUONO, (enseignant de géographie et intervenant au Centre universitaire d’Albi) :

Quels sont les facteurs qui ont déclenché la libéralisation de l’économie en Syrie et son ouverture à la mondialisation ? Quels sont les acteurs particuliers qui ont poussé à une ouverture commerciale ?

Isabelle FEUERSTOSS :

Par la libéralisation nécessaire au développement, la « génération Bachar El-Assad » a engendré des groupes sociaux particuliers. Lors de son retour en Syrie à la fin des années 1990, Bachar El-Assad s’est entouré de technocrates formés en Occident (principalement en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis) pour œuvrer à l’ouverture économique du pays à travers la mise en œuvre de réformes, notamment administratives. Ce dynamisme s’est transformé en regain d’attractivité de la Syrie qui poussa des élites syriennes vivant à l’étranger à rentrer au pays et à y investir des capitaux. Beaucoup d’intellectuels ayant cru à l’élan réformateur politique du président syrien au début des années 2000 (ce que des diplomates français ont nommé « Printemps de Damas » ; ouverture de salons intellectuels et politiques, etc.) s’en sont mordus les doigts quelques années après. En 2005, sous la pression de la communauté internationale (en tête de laquelle Jacques Chirac) faisant suite à l’assassinat de Rafic Hariri, le régime de Damas, aux abois, s’est replié davantage sur lui-même, comptant désormais exclusivement sur la loyauté (communautaire) de ses membres. Une purge a été opérée dans les rangs des responsables ba’thistes, aux premiers rangs desquels les Sunnites (juges, avocats, médecins, ingénieurs, etc.)

Dans ce contexte de pressions internationales et face aux résistances au sein de la vieille garde du régime, le processus de réformes, vues par certains comme une tentative d’ingérences étrangères (notamment françaises), ne vit que très partiellement le jour. La libéralisation économique s’accéléra dans un contexte de corruption et de clientélisme généralisé (seul moyen de recréer des liens de subordination entre un régime minoritaire et les Sunnites, majoritaires). L’oligarchie militaro-affairiste (alliance entre des responsables militaires s’appropriant des pans entiers de l’économie à travers tout un système de corruption fondé sur le monnayage de toute une panoplie d’autorisations ; de construire, d’ouvrir une boutique, etc., et des hommes d’affaire sunnites, faire-valoir des militaires alaouites), a monopolisé les secteurs porteurs du développement et les investissements extérieurs, délaissant totalement la logique de redistribution des richesses, notamment en périphérie. Le déséquilibre de développement territorial n’a jamais été aussi visible.

Mathieu VIDAL, (enseignant-chercheur en géographie au Centre universitaire d’Albi) :

Dans les médias occidentaux nous avons pu voir que la Syrie menaçait d’utiliser des armes chimiques, pensez-vous que c’est quelque chose d’envisageable par les différents partis en place en Syrie ?

Isabelle FEUERSTOSS :

C’est un rôle de dissuasion. Nous savons qu’il y a bel et bien ces armes en Syrie, mais c’est surtout une pression. Pour l’instant, ces armes sont déplacées au fil des lignes de fronts (les flux sont visibles par satellite). Je pense que ces armes ne seront pas utilisées, car en ville, les populations vivent les unes sur les autres, sans discernement entre les rebelles et les pro-régime. Dans le cas échéant, les dommages collatéraux seraient trop importants car ils n’épargneraient personne. Je pense donc qu’il s’agît d’une instrumentalisation à la fois du régime pour servir sa politique de répression et des rebelles pour ternir davantage l’image du régime et amener la communauté internationale à s’engager de manière plus directe dans l’issue du conflit.

Patricia BOUTOUNET, bibliothèque départementale du Tarn :

Quels sont les enjeux de la Turquie concernant le partage des fleuves du Tigre et de l’Euphrate avec les populations kurdes et les pressions qui en incombent en Syrie ?

Isabelle FEUERSTOSS :

Avant le début de la crise, il y avait un projet d’intégration économique régionale appelée les « Quatre mers » et la Syrie en était le noyau avec la Turquie. L’irruption du soulèvement syrien a mis à mal ce projet et a mis en stand by l’accord de libre-échange entre les deux pays, au grand mécontentement des hommes d’affaire turcs. En outre, la crise syrienne a fait ressurgir le vieux spectre turc de l’irrédentisme kurde autour de la zone frontalière syro-turco-irakienne. Les Kurdes syriens, fortement divisés sur le plan politique, possèdent leur propre agenda qui diffère de celui des opposants syriens arabes. Pour certains d’entre eux, l’affaiblissement du régime syrien représente l’occasion historique de faire avancer leur combat en matière de reconnaissance de leurs droits spécifiques sans pour autant être irrédentistes. D’autres veulent au contraire tenter la carte de l’autonomie, ce que rejettent tous les Syriens arabes, opposants ou pro-régime. Sur le terrain, les affrontements font rages entre ces différentes factions armées.

Quant au sud-ouest du territoire turc, comprenant l’ancien Sandjak d’Alexandrette rétrocédé en 1939 par la France à la Turquie kémaliste, elle comprend de nombreux Alaouites et Chrétiens hostiles à l’opposition syrienne. Ces populations voient très mal l’arrivée de milliers de réfugiés syriens, majoritairement sunnites, de même qu’ils acceptent très difficilement le soutien d’Ankara à l’opposition politique et militaire syrienne. De manière plus générale, la population turque se positionne majoritairement contre l’ingérence turque sur le dossier syrien (manifestations, etc.)

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Actualisation de l’article « Guerre civile: le retour du refoulé » sur le site Internet Politique Etrangère

Guerre civile en Syrie : actualisation

Isabelle Feuerstoss, chercheur post-doctoral à l’Institut Français de Géopolitique (université Paris 8), a publié un article intitulé « Guerre civile en Syrie : le retour du refoulé » dans le n° 3/2012 de Politique étrangère. Elle analyse ici les principaux développements intervenus en Syrie depuis l’écriture de son article.

L’article intitulé « Guerre civile en Syrie : le retour du refoulé » a été écrit en juin 2012 et vient d’être publié dans la revue Politique étrangère. Depuis, au cours des trois derniers mois, force est de constater qu’en apparence, sur le terrain, la situation a évolué de façon particulièrement spectaculaire avec la précipitation d’événements majeurs, à l’image de l’offensive d’Alep par les groupes rebelles armés et de la riposte violente de l’armée syrienne ou de la multiplication des défections de responsables militaires syriens.
Cet été a atteint des sommets d’horreurs (massacres de populations civiles à Tremseh le 12 juillet, Daraya le 26 août, etc., tortures, exécutions sommaires de soldats et d’opposants, kidnappings, etc.) Dans certains cas, il n’est pas toujours évident d’établir les responsabilités[1], faute de journalistes et experts indépendants sur place. La guerre de l’information fait toujours rage entre les deux camps, chacun minimisant ses propres pertes humaines et exagérant la réalité de l’étendue de son contrôle territorial. La barre des 27 000 morts[2] depuis le début du soulèvement serait dépassée (il y en a probablement plus).
L’attentat spectaculaire du 18 juillet 2012 ayant tué au cours de l’une de leur rencontre quatre hauts responsables de l’appareil sécuritaire syrien[3] n’en finit pas d’alimenter les rumeurs. Ce qui est certain, c’est que le pouvoir n’apparaît pas fortement ébranlé par ces pertes. Dans la foulée de l’annonce de l’explosion, deux figures sunnites (Rustum Ghazali, l’ancien « régent » au Liban et Ali Mamluk, ancien directeur des Renseignement Généraux) et deux Alaouites (Abdelfatah Qudsaya, ancien directeur des renseignements militaires, et Ali Yuness, ancien dirigeant d’une branche des services de renseignement militaires) ont été aussitôt nommés afin de donner une image de continuité de l’alliance sunnito-alaouite. Toutefois, personne n’est dupe. Ces généraux sunnites, associés définitivement aux heures les plus sombres du régime syrien, n’auraient aucune crédibilité s’ils faisaient défection, ce qui explique sans doute leur alliance jusqu’au-boutiste avec le régime.
Cet été, les défections (individuelles) de hauts responsables militaires et de diplomates syriens en poste à l’étranger (à Londres, à Kuala Lumpur, à Belgrade, etc.) se multiplièrent. Les généraux déserteurs présentent tous la particularité d’être sunnites. La défection la plus importante est sans nul doute celle du général Manaf Tlass, commandant de la 105e brigade de la Garde Présidentielle en charge de la protection de la capitale, fils de l’ancien ministre de la Défense et compagnon de route de Hafez al-Assad, le général Mustapha Tlass. Son exfiltration, facilitée par les services de renseignement français à la fin du mois de juin, a été fortement médiatisée, notamment en France où une partie de sa famille vit depuis des années, dont sa sulfureuse et richissime sœur, Nahed Tlass (connue aussi sous le nom de Nahed Ojjeh, veuve de l’ancien milliardaire commerçant d’armes syro-saoudien Akram Ojjeh), particulièrement bien intégrée dans certains cercles politico-médiatiques parisiens.
Ce n’est donc pas un hasard s’il est venu se réfugier à Paris et si les autorités françaises tentent de l’imposer comme un éventuel candidat au pouvoir dans la Syrie post-Assad. En effet, outre sa francophilie héréditaire, il présente l’avantage d’être sunnite, laïque et originaire de Homs (Rastan plus exactement, un des fiefs de l’opposition armée) où son cousin Abdel Razak n’est autre que le chef de la brigade insurgée Af-Farouq. Enfin, il connaît parfaitement les rouages de l’appareil d’État syrien, ce qui rassure les puissances occidentales. En effet, ces dernières redoutent la politique de la table rase appliquée en Irak en 2003 et en Afghanistan en 2001 et dont on se souvient de l’échec cuisant. Toutefois, la défection de Manaf Tlass soulève des interrogations aussi bien au sein de l’opposition en exil qu’auprès de certains commandants rebelles. Bien qu’il s’illustra par sa modération dans la répression du mouvement pacifiste syrien[4], ce qui lui valut d’ailleurs d’être mis à l’écart par le pouvoir dès le printemps 2012, sa proximité personnelle et idéologique avec le président syrien suscite la suspicion quant à ses réelles motivations politiques. Certains opposants civils et militaires lui reprochent, entre autres, d’avoir rendu responsables les opposants de tous les échecs des discussions avec le régime. Ceci étant, pour tout responsable politique ou militaire encore en poste et exposé en Syrie, tout autre discours est totalement exclu pour des raisons de sécurité bien évidentes. Pour autant, son profil pourrait rassurer certaines classes moyennes et aisées ainsi que des « minoritaires ».
Quant aux défections de Nawaf Farès[5]et de Riyad Farid Hijab[6], elles furent rendues possibles grâce au soutien de leurs tribus sunnites qui disposent d’un repli territorial stratégique (Deir-Ez-Zor et l’Irak). Enfin, le général Awad Ahmad Ali, commandant en chef de la police criminelle à Damas, a pu fuir grâce à ses contacts en Turquie, base arrière des rebelles armés du nord-est.
Néanmoins, ces défections spectaculaires de hauts responsables militaires, politiques, de députés et de diplomates, mis à part leur dimension morale, n’apportent pas de changement significatif sur le fond. En effet, jusqu’à présent, il ne s’agit que de 46 personnes[7], quasiment toutes de confession sunnite.
Progressivement, ainsi que le souligne le chercheur américain Joshua Landis, l’armée syrienne prend des allures de milice alaouite[8]. Les généraux sunnites ayant fait défection sont remplacés sur le champ par les officiers alaouites qui les surveillaient jusqu’alors. Ceci a été rendu possible grâce à la dualité de la hiérarchie de l’appareil militaro-sécuritaire[9]. Les officiers alaouites ayant désormais le champ libre, il en est parmi eux qui se révèlent particulièrement radicaux sur le terrain.
Dans le même temps, on observe la formation de milices – alaouites dans la région de Kassab[10], chrétiennes syriennes et arméniennes[11] sur l’ensemble du territoire syrien – qui s’inscrivent dans un processus général de radicalisation sectaire du conflit.
Toutefois, cette nouvelle donne permet désormais d’envisager l’éventualité d’un coup d’État interne au sein des généraux alaouites, certains cherchant à se démarquer des exactions du régime et étant décidés à mettre fin à la prise en otage de leur communauté par la clique de Bashar al-Assad. Ce scénario serait le moins dangereux aussi bien pour les « minoritaires », associés progressivement au régime alaouite dans les représentations des combattants sur le terrain, que pour l’ensemble du peuple syrien. En effet, la plupart des combattants alaouites sont prêts à perdre leur vie pour sauver le président car ils sont convaincus qu’ils périront si Bashar est écarté du pouvoir. L’enjeu prioritaire est donc de les rassurer en leur offrant des garanties telles que le maintien provisoire de généraux alaouites dissidents dont les États (de la région et au-delà) liés au dossier syrien pourraient se porter garants s’ils arrivent à dépasser leurs différends.
Depuis l’écriture de l’article « Guerre civile : retour du refoulé », de nouveaux paramètres sont apparus sur le terrain. L’ouverture simultanée de nouveaux fronts (les combats se sont propagés à l’ensemble du territoire) affaiblit le champ d’action du régime, l’armée ne pouvant être mobilisée sur l’ensemble des fronts à la fois, ce qui explique le recours massif aux bombardements aériens.
Ainsi, l’ouverture du front à Alep avec le lancement de l’offensive par les insurgés le 21 juillet 2012 constitue indéniablement une étape supplémentaire dans l’escalade de la violence, avec l’augmentation considérable du nombre de morts civils et militaires (étrangement, selon les chiffres de l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, les rebelles seraient moins touchés). Pour la première fois, le 24 juillet 2012, des quartiers où se repliaient officiellement des insurgés armés ont été bombardés par voie aérienne, faisant de très nombreuses victimes civiles dont des enfants. Cette méthode est désormais principalement utilisée à Deir-Ez-Zor, Abu Kamal (à l’est), Alep (au nord), à Damas (au sud) mais aussi de manière moins systématique mais tout aussi meurtrière dans de nombreuses zones d’habitation échappant au contrôle de l’armée régulière. Des cas de tortures et d’exécutions sommaires commis par les deux camps sont de plus en plus fréquemment répertoriés par des ONG internationales (Human Rights Watch, Amnesty International).
Bien que le conflit continue d’être caractérisé par son asymétrie (le régime ayant largement le monopole des armes lourdes et la maîtrise des voies aériennes et maritimes), on assiste à une professionnalisation et à une radicalisation communautaire croissante des groupes armés antirégime, notamment dans le nord et nord-est du pays (les régions d’Idleb, Alep et Deir-Ez-Zor). À ce titre, le Djebel al-Zawiya constitue un laboratoire de l’insurrection[12]. Grâce à sa géographie très montagneuse et sa grande proximité avec la frontière turque, les groupes rebelles ont pu s’organiser et mettre au point des tactiques sophistiquées pour planifier des attaques coordonnées contre les positions de l’armée[13]telles que des aéroports militaires (Menneg, Hamdan) et des centres de service de sécurité (Deir-Ez-Zor, Hanano à Alep). Plusieurs avions de combat et des hélicoptères auraient ainsi été détruits.
Les poches de résistance armée et les fronts se multipliant, le territoire national syrien se trouve fragmenté entre les positions fluctuantes des différents protagonistes. Le mois de juillet a marqué pour la première fois depuis le début de l’insurrection la perte du contrôle par le régime de points frontaliers avec la Turquie (dont le fameux poste Bab al-Hawa le 21 juillet) et avec l’Irak. Toutefois, jusqu’à présent, en dehors de quelques zones, les parties en présence ont beaucoup de mal à consolider leurs positions de manière définitive. Dans certains endroits, les forces des uns et des autres s’équilibrent temporairement – des checkpoints de l’armée et des insurgés se partageant quelque temps le contrôle de quartiers – avant que l’un des camps ne reprenne le dessus sur l’autre.
Plus préoccupant, la présence de combattants non syriens est désormais attestée, notamment dans le nord du pays, dans les provinces d’Idlib et d’Alep. Ce phénomène est largement médiatisé dans la mesure où au même titre que les djihadistes étrangers, les journalistes peuvent désormais pénétrer par le nord grâce à des réseaux de passeurs contrôlés par des groupes insurgés. De retour d’Alep début septembre 2012, le discours du médecin Jacques Bérès, cofondateur de l’ONG Médecins sans frontière, a fait l’effet d’une bombe dans les médias. Plus de la moitié des blessés qu’il aurait soignés seraient des combattants islamistes non-syriens[14].
En effet, à mesure que le conflit s’enlise, la présence d’Al Qaïda (plus connue sous les dénominations de « Jabhat al-Nusra » et « Ahrar al-Sham ») se renforce sur le territoire syrien, et particulièrement à Alep, Damas, Idlib et Deraa. En outre, ces combattants bénéficieraient de l’appui logistique et financier d’Al-Qaida en Irak (présente dans la région depuis 2003)[15].
Dans l’hypothèse où le régime reprendrait l’avantage à Alep, cela ne serait probablement que temporaire avant une prochaine offensive des insurgés qui contrôlent désormais certaines zones stratégiques au nord du pays dans la région d’Idlib (dont certaines voies de communication qui relient Alep au nord-ouest et au littoral syrien). Il apparaît désormais impossible que le régime puisse récupérer le contrôle de la totalité du territoire syrien.
L’expert Joshua Landis[16] estime que le régime alaouite, la principale force militaire jusqu’à présent, perdra probablement le contrôle d’autres larges pans du territoire à travers le pays. Pour autant, cela ne mettra pas fin à la guerre civile tant que les Alaouites, mais aussi les autres minoritaires pro-régimes, seront armés par des puissances régionales, notamment l’Iran, sur le modèle du Hezbollah au Liban.
Le régime syrien entend demeurer un acteur incontournable pour tout règlement politique en Syrie. Pour ce faire, il cherche à se constituer de nouvelles cartes pour pouvoir négocier dans le futur. Face à la difficulté de mobiliser des troupes sur l’ensemble des fronts (internes et frontaliers) et face à l’incapacité de soumettre les insurgés majoritairement arabes sunnites, l’objectif est de rendre le territoire syrien absolument ingouvernable, fragmenté entre différentes factions communautaires rivales dont aucune n’arrive à prendre le dessus sur l’autre.
Il ne s’agit ni plus ni moins que de la stratégie régionale syrienne pensée et mise en place par Hafez al-Assad dès les années 1970 et qui a permis à la Syrie, petit État sans grandes ressources, d’exister sur le plan régional et de bénéficier encore aujourd’hui d’importants appuis régionaux et internationaux (Russie, Chine, Iran). Désormais, cette politique est appliquée en interne, la représentation de menace s’étant déplacée et les ennemis étant désormais les Syriens arabes sunnites.
Se dirige-t-on alors vers un conflit à la yougoslave ou à l’afghane, avec la création d’enclaves chrétiennes, druzes, alaouites, kurdes entourées de zones arabes sunnites non unifiées ?
L’annonce en septembre 2012 sur Al-Jazeera de la création d’une brigade palestinienne (composée de réfugiés palestiniens vivant sur le territoire syrien) visant à se débarrasser du régime syrien puis à lutter pour la libération de la Palestine suscite des inquiétudes. En effet, dans les représentations de nombreux Syriens, le souvenir du rôle néfaste qu’ont joué certaines milices palestiniennes dans la guerre civile au Liban est encore tenace. Certains Syriens redoutent qu’à terme, cette dynamique, si elle s’avère sérieuse, entraîne une intervention militaire israélienne sur le sol syrien.
Il est en outre indéniable que l’enjeu kurde renforce également ce spectre de fragmentation à la « libanaise » de la Syrie.
Les troupes régulières du régime se sont retirées de quelques villes du nord-est de la Syrie (Efrin, Kubani, Amuda et Derek), désormais sous l’autorité exclusive de milices kurdes. Il semble que ce retrait amorcé le 19 juillet 2012 dans la localité de Kubani, sans aucun heurt notable, corresponde à une stratégie territoriale bien réfléchie par le régime syrien. L’objectif vise à affaiblir les insurgés et la Turquie qui les soutient, en favorisant le renforcement et la prise de pouvoir du PKK[17] qui agit officiellement sous le nom du Parti Union démocratique (PYD) dans ces villes autonomes kurdes.[18] Le PYD est totalement opposé au Conseil National Syrien et à l’Armée Syrienne Libre, soutenus et financés par la Turquie. Il a son propre agenda nationaliste. De manière générale, les Kurdes entendent bien saisir les opportunités[19] que la crise syrienne présente, tout en redoutant la versatilité des idéologies des protagonistes et l’évolution rapide des rapports de force sur le terrain.
Ainsi, pour l’heure, le régime s’assure que les Kurdes ne s’allieront pas avec l’opposition arabe et islamiste qui, elle, rejette toute idée d’autonomie ou d’indépendance kurde sur le territoire syrien[20]. Cette dynamique représente néanmoins un danger croissant pour la Turquie qui redoute les actions armées du PKK (attentats et attaques dans le sud-est contre l’armée turque, à l’instar de ce qui s’est passé en août 2012). En effet, les zones sous contrôle du PYD en Syrie sont frontalières avec les zones kurdes de Turquie et d’Irak.
L’aggravation de la guerre civile a accéléré les flux des déplacés internes et des réfugiés syriens dans les pays limitrophes. Il y aurait plus de 250 000 réfugiés répartis entre la Turquie, la Jordanie, l’Irak et le Liban et plus d’un million de déplacés internes en Syrie. Pour l’heure, la situation est gérable mais elle pourrait devenir incontrôlable si le flux ne se tarit pas. La Turquie utilise la menace de déstabilisation politique interne qui plane sur son territoire pour faire pression sur les puissances occidentales afin qu’elles s’investissent davantage sur le dossier syrien.
Au niveau international, on le sait, l’impasse diplomatique perdure.
Finalement, beaucoup de bouleversements sont en court mais pour l’heure, on ne note aucun signe qui indique la fin du conflit ou la stabilisation de la région. L’incertitude ne fait que s’accroître quant à l’avenir de la Syrie post-Assad. En effet, l’implication croissante de puissances régionales répondant à des agendas propres, à l’instar de l’Iran, la Turquie, le Qatar, l’Arabie Saoudite mais aussi la Russie et la Chine semble remettre en question les intérêts occidentaux dans la région. Enfin, il est probable que les manifestations sanglantes en septembre (suite à la médiatisation d’un film antimusulman de qualité médiocre) qui ont visé les représentations diplomatiques américaines dans de nombreux pays arabes, poussent les Occidentaux à agir de manière plus rapide sur le dossier syrien. En effet, l’enlisement de la situation en Syrie nourrit le fondamentalisme religieux musulman qui menace directement les intérêts des Américains et des Européens au Maghreb et au Moyen-Orient.


[1] ONU, « Syrie : les violations graves des droits de l’homme en hausse, selon la Commission d’enquête », in http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=28947&Cr=Syrie&Cr1=#.UFlxqVFu5k0, le 17 septembre 2012.
[2] Selon l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, par ailleurs particulièrement controversé. Ses chiffres sont néanmoins repris par l’ONU.
[3] Le beau-frère de Bashar al-Assad et vice-chef d’état-major Assef Chawkat (déjà donné pour mort par empoisonnement en mai 2012), le responsable de la cellule de crise, Hassan at-Tourkmani, le chef de la Sécurité Nationale, Hicham Ikhtiyar, et le ministre chrétien de la défense, Daoud Rajha.
[4] Il prôna une solution politique (en complément de l’option militaire) à la crise et se positionna en faveur de négociations avec les opposants de Bab al-Amr à Homs. Il fut également médiateur à Deraa entre le régime et les opposants.
[5] Ancien ambassadeur syrien en Irak. Il est originaire d’Abu Kamal, à la frontière syro-irakienne et appartient à la célèbre tribu sunnite syro-irakienne des Oqaidat, qui joua un rôle important dans le passage de djihadistes en provenance du territoire syrien vers l’Irak à partir de 2003.
[6] Né en 1966, originaire de Deir-Ez-Zor (région frontalière avec l’Irak, habitée essentiellement par des tribus et des paysans semi nomades) et ingénieur agronome, c’est un pur produit ba’athiste.
[7]Voir la recension d’al-Jazeera sur le lien Internet :http://www.aljazeera.com/indepth/interactive/syriadefections/2012730840348158.html
[8] Voir son excellent blog Syria comment.
[9] Voir l’article « Guerre civile en Syrie : le retour du refoulé » paru en septembre 2012 dans Politique étrangère.
[10] M.D., “The Formation of Alawite Militias in the Kassab region”, in Syria Comment, 5 septembre 2012.
[11] R. SHERLOCK et C. MALOUF, “Syria: Christians take up arms for first time”, in Daily Telegraph, Beirut, le 12 septembre 2012.
[12] Bien qu’officiellement, l’Armée Syrienne Libre (ASL) soit toujours sous le contrôle du colonel Riad al-Assaad, vivant en Turquie, son autorité est de plus en plus remise en cause et les ordres émaneraient désormais du terrain et non plus de l’extérieur.
[13] Voir : A. BERMAN “Rebel Groups of Jebel Al-Zawiyah”, in http://www.understandingwar.org/backgrounder/rebel-groups-jebel-al-zawiyah, le 27 juillet 2012, consulté le 18 septembre 2012.
[14] “La Syrie devient un terrain d’entraînement pour djihadistes” in http://www.france24.com/fr/20120910-temoignage-jacques-beres-medecins-alep-combattants-djihadistes-francais-mohamed-merah-syrie, le 10 septembre 2012.
15] S. G JONES, “Al Qaeda’s War for Syria”, The Wall Street Journal, 26 juillet 2012.
[16] J. LANDIS, “Assad’s Kurdish Strategy”, in Syria Comment, le 20 août 2012.
[17] Parti politique kurde armé, anti-turc et surtout irrédentiste, contrairement aux autres formations kurdes en Syrie, plus conciliantes sur la question car œuvrant de concert avec les insurgés.
[18] J. MARCUS, “Will Syria’s Kurds benefit from the crisis?”, in BBC, 10 août 2012.
[19] En juillet 2012, une alliance entre le PYD et le CNK, le Conseil National Kurde fut conclue, unifiant un front kurde syrien. Toutefois, les dissensions et rivalités de pouvoir sont fortes.
[20] Les Arabes syriens, qu’elles que soient leurs sensibilités politiques et leurs appartenances confessionnelles, sont profondément nationalistes arabes et farouchement attachés à l’intégrité territoriale de leur pays.

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Mon nouvel article dans Politique Etrangère de l’IFRI « Guerre civile: le retour du refoulé »

Guerre civile en Syrie

À lire ci-dessous : l’article d’Isabelle Feuerstoss, “Guerre civile en Syrie : le retour du refoulé”, paru dans Politique étrangère 3/2012.
Isabelle Feuerstoss est chercheur postdoctoral à l’Institut français de géopolitique de l’université Paris 8.
Disponible ici en français (article intégral).

Le soulèvement qui a débuté en Syrie en mars 2011 est souvent interprété comme un effet domino du “printemps arabe”. L’impact des soulèvements tunisien, égyptien, libyen et yéménite sur la détermination des Syriens est indiscutable. Pour autant, malgré la similitude de certains paramètres (chômage endémique, corruption) et revendications (démocratie, dignité), on ne saurait limiter l’analyse de la crise syrienne à un simple effet de contagion. Par son ampleur et ses modalités d’action, elle semble inédite.
Sur le terrain, la situation ne cesse de s’aggraver. De mars 2011 à début juillet 2012, plus de 15 000 Syriens seraient morts. Pour autant, les 16 mois de répression n’ont en rien entamé la détermination de l’opposition syrienne, mieux organisée et armée, bien que toujours aussi divisée.
Progressivement, le soulèvement pacifique mené au nom des principes de démocratie, de liberté et de dignité a basculé en guerre civile. Les tensions communautaires sont exacerbées, l’armée syrienne et les milices pro-Assad sont à bout physiquement et nerveusement, ce qui laisse présager le pire, à l’image des massacres à Houla, Mazraat al-Qubeir et Al-Haffa.
Les risques de répercussion de la crise syrienne au plan régional n’ont jamais semblé aussi grands, attisés par les convoitises et les divisions de la communauté internationale.

Téléchargement gratuit sur le site de PE: http://politique-etrangere.com/2012/09/24/guerre-civile-en-syrie/

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